Eloge de la méfiance : apprendre à vivre entre vérité et mensonge...

En raison du « bombardement informationnel » que nous vivons tous les jours, il est plus que jamais indispensable d’exercer la plus grande prudence vis-à-vis des informations que l’on nous communique, même si celles-ci proviennent de sources proches ou fiables. En effet, en dehors des cas de manipulation flagrante ou volontaire, personne n’est à l’abri d’informations fausses, même si elles paraissent vraisemblables. La prolifération des médias et des sources d’information, ainsi que la difficulté liée au processus de « fiabilisation », font que désormais n’importe qui, même en toute bonne foi, peut-être un vecteur de désinformation.

Avec les informations colportées par Internet, le phénomène a atteint son paroxysme. Idéalement il faudrait être « méfiant » vis-à-vis de toute information disponible sur le Web et disposer d’outils et de méthodes pour en vérifier la fiabilité et la pertinence. Ceci n’est pas toujours ni réaliste ni réalisable. La profusion d’informations actuelle est telle que personne n’est réellement en mesure de vérifier l’authenticité des faits et des événements.

Quand un fournisseur annonce, par exemple, qu’un produit n’existe plus, il ne dispose pas toujours du temps ou de la motivation pour vérifier ses dires. De la même manière, si un revendeur informatique annonce que telle carte vidéo est incompatible avec votre ordinateur, il est nécessaire de s’en assurer sur Internet. Les combinaisons informatiques étant quasiment infinies il est souvent impossible d’asseoir de telles informations sans vérifier.

Au-delà des entreprises, ce qui va donc révolutionner les comportements individuels sur Internet, c’est justement cette « attitude de veilleur ». Elle consiste à garder les yeux ouverts pour se cultiver et s’enrichir à tout niveau : que ce soit pour dénicher une information inédite, vérifier une rumeur, enrichir ses connaissances, forger ses croyances, comparer les prix d’un livre, identifier le chirurgien qui a mis en place la dernière technique pour soigner une maladie rare...

Cela dit, avoir un accès illimité aux informations ne signifie pas pour autant « disposer d’un accès automatique au savoir » et, par conséquent, cela n’entraîne pas à coup sûr un « enrichissement personnel ».

Carlo Revelli

Ce billet est dédié à la mémoire de mon père qui me répétait sans cesse deux dictons italiens qu’à tort je n’ai jamais trop crus de son vivant : « fidarsi è bene, non fidarsi è meglio » (« faire confiance c'est bien, ne pas faire confiance c'est mieux »), « Ricordati che in questo mondo, ci sono due tipi di persone : quelli che ti fregano, e quelli che si fanno fregare… Cerca di non farti fregare troppo… » (« Rappelle-toi que dans ce monde, il y a deux types de personnes : ceux qui t’arnaquent et ceux qui se font arnaquer… Essaie de ne pas trop te faire arnaquer… »)  :-)

janvier 27, 2006 dans Pourquoi ce livre | Permalink | Commentaires (1) | TrackBack

Pourquoi la révolte du pronétariat ?

Le modèle industriel traditionnel a conféré le pouvoir aux puissants par la centralisation des moyens de production et de distribution. Ils ont ensuite cherché à transposer ce modèle à la société de l’information. Or, les règles du jeu ont changé. L’accumulation du « capital informationnel » grâce aux ordinateurs personnels, aux banques de données et à l’Internet, se fait de manière exponentielle. La création collaborative et la distribution d’informations de personne à personne, confèrent de nouveaux pouvoirs aux utilisateurs, jadis relégués au rang de simples « consommateurs ». Des outils « professionnels » leur permettent de produire des contenus numériques à haute valeur ajoutée dans les domaines de l’image, de la vidéo, du son, du texte, jusque là traditionnellement réservés aux seuls producteurs de masse, propriétaires des « mass media ».

Ces nouvelles pratiques mettent désormais en cause les modèles traditionnels industriels et commerciaux de production et de distribution. Il m’est apparu essentiel d’expliquer en terme clairs, - car le jargon né des internautes est parfois mystérieux (blogs, wikis, Skype et autres…) - pourquoi cette e-révolution s’apparente à une nouvelle « lutte des classes » entre les grands pouvoirs politiques et industriels et la société civile Ce nouveau pouvoir civil, cette démocratie de la communication et de la participation s’appuie sur ce que j’appelle les « media des masses ». Elle est catalysée par les dernières technologies de l’information et de la communication, auxquelles sont associés de nouveaux modèles économiques. J’ai souhaité rendre compte de cette étonnante révolution s’appuyant à la fois sur des technologies avancées et sur des nouvelles pratiques inventées par les utilisateurs eux même, et en particulier par les nouvelles générations. Pour preuve, le SMS, le bavardage sur le Net (le « chat »), le partage de musique en P2P (de particulier à particulier), n’ont pas été proposés par les grandes entreprises de la communication, mais initiées et développées de manière explosive par les jeunes utilisateurs du portable et de l’Internet.

La nouvelle lutte des classes s’exerce entre ceux que j’appelle les « infocapitalistes » détenteurs des contenus et des réseaux de distribution et les « pronétaires », nouveaux producteurs et acheteurs de biens et services produits par eux-mêmes en ligne sur les réseaux. Je pense que la production massive et collaborative par ce nouveau pronétariat représente une révolution aussi importante que celle du début de l’ère industrielle symbolisée par la machine à vapeur, puis par la mécanisation et l’automatisation intensives. Aujourd’hui, grâce aux nouveaux outils de pouvoir des pronétaires, s’appuyant sur le numérique et l’Internet, cette révolution est encore plus rapide et prend de court les pouvoirs en place. Certes, « l’empire contre attaque », mais avec des moyens répressifs, juridiques, ou de propagande médiatique, inadaptés. 

Je suis convaincu que la nouvelle « nouvelle économie » née de la montée du pronétariat, pose et posera des problèmes culturels, politiques, sociologiques et même éthiques, radicalement nouveaux. Les pronétaires, par l’utilisation des blogs, vlogs, wikis, journaux citoyens, IM, téléphone mondial gratuit tel que Skype..., comme outils stratégiques de production et de distribution, créent un univers commercial parallèle à celui des entreprises classiques. D’où les défis et les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés entreprises et gouvernements et auxquels ils ne savent pas répondre.

Les « media des masses », seuls véritables media démocratiques, vont radicalement modifier la relation entre le politique et le citoyen et, par voie de conséquences, avoir des impacts considérables dans les champs culturels, sociaux, économiques et politiques. La télévision, la radio, le livre, les journaux, les magazines, le téléphone, la publicité, ne seront plus les mêmes. Encore faudra-t-il que ce nouvel univers du « gratuit », démontre qu’il est capable de générer des bénéfices indirect, assurant la croissance économique, le partage des richesses et la solidarité.

Ce livre a pour but, non seulement d’analyser cette surprenante évolution, mais aussi de proposer des solutions constructives pour ré-équilibrer les pouvoirs afin de favoriser le développement des connaissances et la protection des libertés humaines.

Par Joël de Rosnay

janvier 7, 2006 dans Pourquoi ce livre | Permalink | Commentaires (2) | TrackBack

De l'intelligence individuelle à l'intelligence collective

En tant que PDG d’une société de recherche d’informations et de veille sur Internet (Cybion) et en tant que responsable de la publication d’un média citoyen (AgoraVox), différentes raisons m’ont incité à collaborer avec Joël de Rosnay dans la réalisation de cet ouvrage. La relation au monde est aujourd’hui nécessairement complexe : la surinformation et la désinformation brouillent les messages informatifs, au point qu’il devient délicat et risqué d’opérer des choix individuels d’analyse et de comportement, de prendre des décisions rationnelles, y compris dans les domaines les plus anodins. Il est dès lors opportun de s’interroger sur l’éventuelle pertinence d’une utilisation par les individus de méthodes éprouvées, depuis des années, par les entreprises, telles que le knowledge management, l’intelligence économique, la veille…

En d’autres termes, j’ai essayé de comprendre si un individu ou un groupe d’individus pouvait réellement identifier, analyser, valider les informations dont il a besoin pour opérer et optimiser ses choix dans la vie quotidienne. Internet constitue désormais un « accélérateur » qui favorise le développement de l’intelligence individuelle et peut-être aussi une certaine forme de rationalité. Ce qui va révolutionner les comportements individuels sur Internet, c'est justement cette « attitude de veilleur » qui consiste à garder les yeux ouverts pour se cultiver et s'enrichir à tout niveau : que ce soit pour dénicher une information inédite, vérifier une rumeur, enrichir ses connaissances, forger ses croyances…

Tout individu est un « capteur » capable d'identifier en avant-première des informations inédites, difficilement accessibles ou volontairement cachées. En dehors des inévitables tentatives de manipulation, de désinformation ou de déstabilisation, la question est aujourd'hui de comprendre si Internet peut se transformer en une sorte de « peer-to-peer éthique » mobilisant les forces de millions d'internautes, à l'image des nombreux programmes scientifiques qui utilisent la puissance de calcul des PC des internautes pour lutter contre le sida, le cancer ou pour chercher d’hypothétiques extra-terrestres. Par exemple, chaque internaute pourrait se transformer, volontairement ou par hasard, en une sorte de « capteur » capable d'identifier un site web ou un forum de discussion qui incite au racisme, à la haine ou à la pédophilie. Aucun logiciel de veille ou de recherche d'informations ne dispose en effet du formidable potentiel que représentent des millions de personnes agissant en réseau de manière conjointe. Chaque individu peut devenir donc une sorte de « maillon éthique du réseau » en utilisant efficacement les outils de recherche et les logiciels intelligents.

Par ailleurs, chaque individu a une double approche face à l'information. Il est d'une part forcément intéressé de savoir ce qui se passe dans le monde ou dans son pays d'un point de vue économique, social, politique, technologique, etc. Mais d'autre part, il est également très intéressé de savoir ce qui se passe dans sa région, sa ville, son quartier, sa rue... En passant de « l'infiniment grand à l'infiniment petit », chaque personne, bascule continuellement d'une sphère « macro » (ce qui se passe dans le monde) à une sphère « micro » (ce qui se basse en bas de son immeuble). Ce nouveau phénomène constitue une véritable révolution qui va radicalement transformer le fonctionnement des médias traditionnels et notre futur accès à l'information. Ainsi ce formidable potentiel constitué par une multitude de citoyens reporters agissant de manière conjointe, nous permettra de passer peut-être un jour de la version « officielle » de l'information à sa version « réelle »...

Par Carlo Revelli

janvier 7, 2006 dans Pourquoi ce livre | Permalink | Commentaires (1)