Articles sur le livre "Une vie en plus"

Extraits du livre "Une vie en plus". Mis en ligne grâce à l'autorisation des Editions du Seuil

Extraits du livre « Une vie en plus : la longévité pour quoi faire ? »

Avec l’aimable autorisation des Editions du Seuil pour la mise en ligne de cet extrait

CHAPITRE 1

Pourquoi vieillit-on?

C’est au fond de nos organes, dans l’intimité de nos cellules, dans l’expression de nos gènes que se joue le drame du vieillissement, comme un bruit de fond croissant qui parasite le fonctionnement de notre organisme, et le conduit lentement vers le déclin.

Révolution annoncée!

– Dominique Simonnet: Il semble que nous assistions, depuis quelques années, à ce qu’il faut bien appeler une révolution scientifique: les chercheurs sont en train de comprendre le phénomène du vieillissement, et ils commencent même à se donner les moyens de réagir. Serions-nous sur le point de maîtriser notre destin?

– Joël de Rosnay: Disons-le d’emblée: le processus de vieillissement reste inéluctable. Aucun chercheur aujourd’hui n’envisage sérieusement que l’on puisse un jour accéder à l’immortalité. Sur notre planète, la mort est nécessaire à la vie. Les atomes, les molécules, tout est recyclé. Si les vieux organismes ne mouraient pas, les nouveaux ne pourraient se développer. C’est ainsi. Le vieillissement touche toutes les espèces, et l’on voit mal comment l’arrêter totalement. En revanche, nous commençons à mieux comprendre ce phénomène et à intervenir pour le ralentir. Dans ce domaine, nous sommes au seuil d’une immense révolution non seulement scientifique mais aussi sociale et économique.

– D’où vient-elle, cette révolution?

– De tous côtés! De l’embryologie, de l’immunologie, de la génétique, de la neurobiologie, de la psychologie… Jusque-là, on étudiait les fonctions du corps séparément: les neurobiologistes s’occupaient du système nerveux; les immunologistes, du système immunitaire (celui qui nous protège contre les maladies, les bactéries et les virus); les endocrinologues, du système hormonal (qui dirige notre croissance, les rythmes de veille et de sommeil, nos humeurs, notre sexualité). Ces disciplines, qui se parlaient peu, se sont mises à dialoguer les unes avec les autres. On n’hésite plus désormais à établir des ponts entre l’état physique et l’état psychique, entre le corps et l’esprit; on s’intéresse également à l’influence de nos modes de vie et de notre environnement sur le vieillissement. Les récents investissements réalisés dans la recherche contre le cancer et le sida nous ont eux aussi fait progresser: on s’est aperçu que la destruction du système immunitaire par le virus du sida conduit à une sénescence précoce, et on sait maintenant que le cancer est, lui aussi, une maladie liée au vieillissement… De son côté, la technologie a inventé un nouvel arsenal thérapeutique – puces implantables dans le corps, anticorps monoclonaux, sondes d’hybridation moléculaires. Bref, tout cela permet de relier entre elles des informations éparses et d’esquisser une approche globale liée au vieillissement: les chercheurs ne se préoccupent plus seulement des symptômes, ils s’intéressent maintenant aux causes de ce phénomène.

– Un vrai festival, en effet… Jusque-là, on considérait le vieillissement de manière grossière, au niveau des organes. Si je vous suis, on le traque maintenant à tous les niveaux, jusque dans l’intimité de nos cellules.

– Autrefois, on ne pouvait observer que la dégradation du corps et de ses fonctions. Déjà, Pasteur avait compris que, pour bien appréhender le vivant, il fallait le regarder dans ses structures les plus petites. Mais il était limité par la faible capacité de son microscope. Depuis, les techniques ont fait des progrès considérables, et l’on peut maintenant étudier le corps, et donc le phénomène du vieillissement, à tous les niveaux. D’abord, les organes et les tissus, qui sont constitués par des milliards de cellules. Puis, les cellules elles-mêmes, et les relations qu’elles nouent entre elles. Ensuite, les grosses molécules à l’intérieur de ces cellules, c’est-à-dire les protéines, les enzymes, et bien sûr l’ADN avec ses gènes. Enfin, les petites molécules, les peptides, les hormones qui jouent le rôle de régulateurs ou de «messagers» dans les fonctions du corps.

Le carburateur encrassé

– Effectuons donc un zoom dans un corps vieillissant en partant du plan le plus large: celui des organes. Là, on assiste à des phénomènes somme toute assez simples: avec l’usage, ça s’encrasse, ça grippe, ça bloque, comme une voiture qui a déjà bien servi, c’est cela?

– En quelque sorte. Le corps absorbe et traite une grande quantité de substances, avalées ou inhalées. Il en transforme certaines, en rejette d’autres. À mesure que le temps passe, on comprend que certains organes fonctionnent de moins en moins bien. Même s’ils ont des petits cils qui éliminent la poussière, même s’ils ne sont pas englués par les goudrons du tabac, les bronchioles finissent par s’obstruer. À partir de 40 ans, les reins s’encrassent eux aussi, comme le filtre du carburateur d’une automobile, et laissent passer de plus en plus de polluants. La structure intime des os est fragilisée, provoquant ce qu’on appelle généralement l’ostéoporose. Avec l’âge, les muscles perdent de leur capacité contractile par suite de la modification de leurs protéines… On connaît des remèdes simples à ces dégradations, comme, par exemple faire de l’exercice pour maintenir sa masse musculaire, par suite de l’augmentation de la production d’hormones de croissance. On pourra bientôt dépolluer la machine, et faire des échanges standard d’organes, nous en reparlerons. Disons simplement que l’exercice et l’alimentation sont essentiels pour réduire le vieillissement naturel des organes.

– On sait que le cerveau se détériore lui aussi.

– C’est un cas particulier. Avec l’âge, il perd certaines connexions, certaines aptitudes (ceux qui n’exercent pas leur mémoire régulièrement la voient s’affaiblir). Mais si le nombre de neurones diminue, ceux-ci continuent quand même à créer des nouvelles connexions, même à 80 ans! À condition, une fois encore, de s’en servir (nous possédons 100 milliards de neurones connectés chacun à 1 000 autres neurones, ce qui donne 100 000 milliards de connexions ou synapses). On sait maintenant que les neurones sont entourés par des cellules gliales qui leur donnent de la nourriture et éliminent les polluants. C’est un peu comme s’il existait en nous deux systèmes de communication: celui des neurones, semblable à un réseau téléphonique à fil; celui des cellules gliales, comparable au réseau sans fil de nos portables. Vous sentez soudain l’effluve d’un parfum: immédiatement, les récepteurs de votre nez envoient un signal «sans fil» via les cellules gliales dans l’ensemble du cerveau, ce qui réveille certains neurones qui lancent à leur tour des signaux entre eux. Et vous reconnaissez que ce parfum est associé à une femme qu’un jour vous avez rencontrée…

– Voilà qui est romantique. Quelle conclusion faut-il en tirer?

– Plus on se pose de questions, plus on est curieux, plus on a plaisir à vivre, et plus les neurones s’activent, plus les connexions continuent à s’établir, plus le cerveau tient la forme. Donc, rester actif, intellectuellement et physiquement, combat le vieillissement. On sait maintenant que le cerveau se réorganise en permanence quand, par exemple, on lit un livre, on joue du piano, on fait du bricolage, on conduit une voiture, on se sert d’un ordinateur et d’Internet. On crée ainsi de nouvelles fonctions, des réponses adaptées: nous devenons «plus intelligents». Notons au passage que les huiles de poisson, comme les Oméga 3, jouent un rôle important dans la bonne santé des cellules gliales et dans les communications synaptiques, et contribuent donc à augmenter l’apprentissage, la mémoire ou à réduire les risques de dépression mentale… S’esquisse une fois encore le rôle décisif de l’alimentation.

La mèche de la bougie

– Donnons un coup de zoom. Nous voilà maintenant au niveau des cellules.

– Les découvertes dans ce domaine ont été prodigieuses. L’exploration des cellules a commencé dans les années 1950 avec le développement de la biologie moléculaire qui doit beaucoup aux Français Jacques Monod, André Lwoff et François Jacob (prix Nobel en 1965). Dans leur sillage, les biologistes ont étudié des organismes très simples, comme la bactérie Escherichia Coli, un petit colibacille de notre intestin composé d’une seule cellule, qui est devenue l’animal de laboratoire des chercheurs du monde entier. Puis, ils se sont intéressés à des organismes plus complexes, comme la mouche drosophile et un petit ver au joli nom, Caenorhabditis Elegans: on a pu décortiquer entièrement cet animal, cellule après cellule, gène après gène, et en établir le plan complet. Ce ver rond, appartenant au genre des nématodes, mesure 1 mm de long et 0,1 mm de diamètre, et il est totalement transparent. On en voit donc clairement les organes, les muscles, le système nerveux, l’appareil digestif et reproducteur. L’animal est composé d’environ 1 000 cellules, et il possède 6 chromosomes (avec 19 000 gènes). Les chercheurs connaissent maintenant le rôle de chacun d’eux et ils savent les modifier pour en étudier les effets sur le comportement et la durée de vie de l’animal.

– Qu’est-ce que ces agréables animaux nous ont donc appris?

– Il a d’abord fallu mieux comprendre les mystères de la division cellulaire. Au début des années 1960, deux scientifiques américains1 ont suivi l’évolution des cellules qui, depuis le tout premier stade embryonnaire, se divisent et se spécialisent en cellules de peau. Elles se reproduisent une fois, deux fois, trois fois… S’agencent en tissus, puis au bout de cinquante divisions en moyenne, elles ne se multiplient plus. Elles semblent programmées pour s’arrêter, comme des bougies qui s’éteignent une fois leur mèche consumée. La métaphore est pertinente: à la fin des années 1980, on a trouvé cette «mèche» biologique2. Ce sont des morceaux d’ADN (appelés «télomères»), situés en bout du filament du chromosome de la cellule. Chaque fois que la cellule se divise, un morceau de cette mèche est coupé par une enzyme. Quand il n’en reste plus, le processus s’arrête: la cellule ne se divise plus. Le tissu garde alors les mêmes cellules, il ne se régénère plus, il vieillit. On s’est dit: Formidable! Nous tenons la clef du vieillissement! Si on trouve maintenant un moyen d’empêcher les cellules d’arrêter leur division, on pourra peut-être intervenir sur ce phénomène et redonner un coup de jeune au tissu.

– J’imagine que ce n’était pas si simple.

– Hélas! L’interrupteur biologique ne fonctionne pas à tous les coups. La théorie n’est pas valable pour toutes les cellules du corps. Certaines n’obéissent pas à cette règle, elles se reproduisent et ne meurent pas: c’est le cas des cellules de moelle osseuse, par exemple, qui fabriquent les globules rouges. On sait aussi depuis peu que certains de nos neurones continuent à se diviser et que le cerveau contient même des cellules embryonnaires. Quant aux cellules cancéreuses, elles se reproduisent, elles, comme des folles (en reconstituant, chaque fois, un petit bout de la fameuse mèche, grâce à une enzyme, la télomérase). Enfin, on est capable de cultiver en laboratoire des cellules qui se multiplient indéfiniment si on leur ajoute des facteurs de croissance et des vitamines.

– Donc, fausse piste?

– Ce que l’on retient de tout cela, c’est l’idée qu’il existe un interrupteur biologique qui, au moment du développement de l’organisme, arrête la division des cellules. Mais le vieillissement, c’est bien plus compliqué. En tout cas, ce n’est pas seulement l’histoire de cellules qui ne se reproduisent plus.

Quand le corps rouille

– Il faut descendre encore d’un cran, au niveau des molécules cette fois.

– Là, on a fait une autre découverte concernant nos mitochondries, qui se trouvent en grand nombre à l’intérieur de chaque cellule.

– Vague souvenir de cours de biologie: ce sont des petites poches qui fabriquent l’énergie, n’est-ce pas?

– Oui. Des micro-centrales en somme: elles brûlent les substances apportées par les aliments (acides aminés, lipides, et surtout du glucose) pour produire le carburant des cellules (l’ATP, adénosine triphosphate). C’est le combustible universel des êtres vivants que nous utilisons à tout instant pour bouger, nous déplacer, faire fonctionner notre cerveau, grand consommateur d’énergie. Pour faire leur travail, les mitochondries ont besoin d’oxygène (apporté par les globules rouges). Mais toute chaudière crée de la pollution: le glucose est dégradé en gaz carbonique (CO2), en vapeur d’eau et en… dangereux radicaux libres.

– Pourquoi ces fameux radicaux libres sont-ils si dangereux pour nos cellules?

– Il s’agit de molécules déséquilibrées qui possèdent un électron libre (non partagé dans une liaison chimique), ce qui les rend très réactives et même destructrices quand elles interagissent avec d’autres molécules. Cela produit des effets en cascade: les molécules saines «attaquées» deviennent à leur tour des radicaux libres et en attaquent d’autres... Cette réaction en chaîne perturbe la structure des membranes de nos cellules en les rendant moins souples et donc moins perméables3. Résultat: elles échangent moins avec leurs voisines, elles communiquent mal. Comme si elles étaient «rouillées», atteinte par la corrosion de l’oxygène4.

– Des cellules rouillées qui se dérèglent!

– Tout à fait. Et plus la mécanique cellulaire tourne vite, plus elle pollue. Ainsi, plus on fait du sport de manière excessive, plus on s’énerve, plus on absorbe de polluants (cigarettes, mauvaise alimentation) et plus nos mitochondries, comme des moteurs dont le carburateur serait mal réglé, fabriquent des radicaux libres (c’est ce qu’on appelle désormais le «stress oxydatif»). Avec l’âge, elles se dégradent, perdent leur capacité à fabriquer suffisamment d’énergie. Résultats: dégénérescence cellulaire, fatigue, perte de mémoire, réduction de l’activité cérébrale.

La baleine et la souris

– En somme, si nos cellules travaillent trop vite et mal, il y a surchauffe, corrosion, rouille. Ce serait donc cette oxydation des cellules qui nous ferait vieillir?

– Oui, en grande partie. Nos cellules communiquent par signaux chimiques (qui déclenchent la fabrication de protéines, d’enzymes bien précis). Si elles fonctionnent mal, si le signal est perturbé par des membranes encrassées, les protéines sont mal formées, une série de dysfonctionnements se produisent en cascade. Et cela concerne toutes les cellules de notre corps: celles de la peau, du foie, les neurones. Petit à petit, c’est l’organisme entier qui est concerné.

– Le corps se délabre…

– D’où l’intérêt de ralentir le métabolisme de nos cellules, en mangeant moins par exemple. C’est la restriction calorique. Nous en reparlerons. Généralement, plus un organisme est petit, plus son métabolisme est rapide, et plus il vieillit vite et meurt tôt. Une souris vit seulement une centaine de semaines, ne pèse que 20 à 30 grammes, mais son cœur bat très rapidement: à sa mort, il a accompli environ 1,5 milliard de battements. Celui d’une baleine, qui vit un bon siècle, et pèse de 30 à 100 tonnes, bat très lentement: à sa mort, il aura lui aussi accompli 1,5 milliard de battements. Des organismes de taille et de poids très différents ont pourtant des propriétés communes. Ce qui correspond à ce qu’on appelle des «lois d’échelle» qui passionnent les biologistes5.

– Troublant… Pour éviter ces phénomènes d’oxydation cellulaire, il n’existe pas d’antirouille?

– Si. Il n’y aurait d’ailleurs pas de vie sans antioxydants. Il y en a dans l’environnement immédiat de la mitochondrie. Certaines substances que nous absorbons jouent également ce rôle (la vitamine E, la vitamine C, le bétacarotène, le sélénium, le zinc) et débarrassent notre corps des radicaux libres qui l’oxydent… On peut aussi doper indirectement nos petites chaudières cellulaires avec des produits utilisés par certains sportifs, qui leur donnent un «coup de fouet». Mais cela produit à nouveau des… radicaux libres. En combinant dopants et antioxydants, on fatigue et on fait vieillir nos cellules. Un peu comme si on conduisait une voiture en appuyant à la fois sur l’accélérateur et sur le frein.

Le sérum de jouvence

– Bref, on n’en sort pas.Pas trop d’antirouille, pas trop de coups de fouet. Comment faire alors?

– Une équipe de chercheurs a peut-être trouvé le régulateur idéal de la mitochondrie: le mélange d’un acide aminé naturel (l’acétyl-L-carnitine ou Alcar) et d’un puissant antioxydant, également naturel (l’acide R-alpha-lipoïque). Vous administrez ce cocktail à des rats de 4 ans, âgés, au poil blanchissant, en proie à l’arthrose, qui ont perdu nombre de leurs capacités, notamment celle de s’orienter dans un labyrinthe ou d’avoir suffisamment d’énergie pour faire tourner une cage, et les voilà qui retrouvent la jeunesse, la vigueur, la mémoire de rats de 6 mois et la capacité à s’orienter!

– Nous ne sommes pas des rats.

– Cette découverte annoncée en 1998 par Bruce Ames6 a créé un intérêt considérable dans de nombreux laboratoires. Des essais sont en cours chez l’homme... Pour promouvoir sa découverte, ce scientifique a créé une «start-up», Juvenon, qui commercialise la «Juvenon Formula» contenant les deux produits naturels. Mais pour montrer son désintéressement, il a fait don de toutes ses actions à une fondation finançant des recherches sur le vieillissement.

– Voilà un chercheur philanthrope. Aurait-on découvert le sérum de jouvence?

– Pas si vite! On a tout au moins fait la démonstration qu’un supplément alimentaire ralentit le vieillissement, du moins chez les rats. Aux États-Unis, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, on prescrit déjà l’Alcar ou la «Juvenon Formula» pour redonner de l’énergie aux gens fatigués ou âgés. Pas encore en France où l’on est plus prudent… Une chose, en tout cas, est sûre: il est possible de lutter contre certains aspects du vieillissement cellulaire.

– C’est déjà une bonne nouvelle.

– Certes. Mais on a aussi compris que d’autres facteurs interviennent dans la sénescence: les virus, les bactéries, mais aussi nos modes de vie, notre alimentation, suscitent une oxydation permanente de notre corps. Les polluants atmosphériques et alimentaires, les nitrates, les radiations, les rayons du soleil et le stress accentuent également le vieillissement. Plus encore: comme l’a montré Luc Montagnier (le découvreur du virus du sida), nos cellules, en combattant l’oxydation provoquée par les agents infectieux, déclenchent des phénomènes d’inflammation à l’origine de certaines maladies dites «du troisième âge».

– En somme, ces maladies seraient provoquées par un surcroît de défense de l’organisme. Nous nous attaquerions nous-mêmes.

– La défense du corps va en effet trop loin. En luttant ainsi contre l’oxydation, le corps se crée des pathologies du vieillissement. On connaît les maladies dites dégénératives, comme les maladies cardiovasculaires: le «mauvais» cholestérol se dépose en plaques sur les artères, la tension augmente, ce qui crée des coups de boutoir dans la circulation du sang et peut faire éclater une artère, susciter une attaque cérébrale ou créer une hémiplégie. Ensuite, il y a des maladies des yeux: la dégénérescence maculaire et la cataracte sont liées à des oxydations de la rétine et du cristallin. La maladie d’Alzheimer est, elle aussi, le résultat de ce phénomène d’oxydation et d’inflammation: le dépôt d’une protéine colmate la communication des neurones, provoquant la mort de certains d’entre eux, ce qui altère la mémoire. Et puis, il y a l’arthrose: l’oxydation attaque les joints des cartilages, les os n’ont plus de surfaces articulaires qui glissent entre elles grâce aux cartilages: l’os a perdu son lubrifiant. C’est le rhumatisme…

– Tout cela parce que nous nous oxydons… Peut-on remédier à cette inflammation des cellules?

– Luc Montagnier, qui a une vision globale de la longévité, propose de créer une fondation internationale spécialisée dans la prévention de ces maladies. On pourrait selon lui augmenter d’au moins vingt ans la durée de la vie active, bien au-delà de 60 ans, en pratiquant des tests biologiques personnalisés, et en administrant des antioxydants adaptés à chaque cas ainsi que des immunostimulants. On comprend aussi l’immense intérêt de «manager» notre corps pour lui éviter d’avoir à lutter sans cesse contre des agressions et à surchauffer ses cellules. S’esquisse, une fois encore, la nécessité d’une alimentation et d’un mode de vie qui en tiennent compte.

Les cellules folles

– Le cancer, on le sait, est aussi provoqué par un dérèglement des cellules. Entre-t-il aussi dans cette catégorie?

– Le risque d’être atteint par un cancer augmente avec le vieillissement. Dans notre corps, il arrive fréquemment que des cellules deviennent folles: elles «oublient» qu’elles sont spécialisées – en cellules de peau, de cœur ou de foie – et se mettent à se diviser comme si elles étaient des cellules d’embryon, comme si elles retombaient en enfance. Ce réveil est déclenché par des gènes qui ont été excités par un virus ou qui ont subi une mutation. Mais, sans que nous le sachions, d’autres gènes, les répresseurs, réagissent et vont anéantir le processus. Notre corps vit donc dans un armistice permanent, dans un compromis entre les forces de promotion et les forces d’inhibition7.

– Il mène une lutte sourde et invisible contre ses propres erreurs… Nous avons donc en nous une sorte de police génétique.

– Exactement. Mais il arrive qu’elle ne soit plus efficace. Qu’est-ce qui détruit cet équilibre? Prenons le phénomène de la cicatrisation. Imaginons que vous vous coupiez le doigt. Certaines cellules de votre peau sont alors séparées par la coupure, elles ne sont plus en contact. Cela déclenche immédiatement l’activité de certains de leurs gènes qui leur ordonne alors de se diviser. Elles se divisent, se divisent, se divisent jusqu’à ce qu’elles touchent à nouveau d’autres cellules de l’autre côté de la plaie. À ce moment-là, des protéines situées à leur surface envoient cette fois le signal stop: «Arrêtez tout, vous avez fait le travail de réparation, redevenez sociales et tenez-vous tranquilles!» Elles arrêtent de se diviser. C’est ce que l’on appelle l’inhibition de contact. Le tissu s’est reformé selon le plan d’origine.

– Les cellules cancéreuses, elles, n’entendent plus ce signal.

– Le cancer est comparable à une cicatrisation qui ne peut plus s’arrêter. Les cellules malignes sont sourdes et aveugles aux signaux de l’environnement. Elles se divisent sans qu’aucun signal ne vienne activer leurs gènes et les inhiber. Elles ont de surcroît une stratégie très sournoise: plus la tumeur se développe, plus elle attire les capillaires sanguins vers elle pour leur pomper de l’énergie (c’est ce qu’on appelle l’angiogenèse). Les cellules cancéreuses fabriquent aussi des substances, des peptides, qui endorment les défenses immunitaires. Et, contrairement aux cellules saines qui meurent si elles sont isolées de leur tissu d’origine, elles ont, elles, une forme d’autonomie: elles empruntent le circuit sanguin et se promènent partout dans le corps (les métastases), en fabriquant des produits qui dissolvent les cellules devant elles pour leur permettre de passer.

– De vraies ruses biologiques… Plus on est âgé, plus on est vulnérable à une telle offensive?

– Bien sûr. D’abord, parce qu’avec l’âge le système immunitaire est moins efficace: les cellules de défense, affaiblies par la rouille du corps, ont de plus en plus de mal à reconnaître les étrangères. Et puis parce que les cellules d’un corps âgé ont plus de risque de devenir cancéreuses: elles sont les descendantes d’une longue lignée de cellules, d’une longue histoire de divisions successives, et portent en elles une accumulation d’erreurs de copie. C’est notamment le cas des cellules des tissus qui se multiplient beaucoup, comme la peau, les bronches, le foie, les reins, le pancréas. Ce n’est pas un hasard si ce sont les sièges des principaux cancers.

– L’environnement, là aussi, joue un rôle.

– Les cancers du pancréas et du sein peuvent être déclenchés par des hormones fabriquées par le corps ou par certains produits – pesticides, déodorants. Le cancer des bronches, lui, résulte de l’irritation permanente des tissus due à la fumée de cigarette ou celui de la plèvre, à l’amiante: à force d’être excitées, agressées, les cellules finissent par se multiplier comme si elles devaient opérer une cicatrisation. Le cancer de la lèvre du fumeur de pipe ou celui de l’œsophage résultant du reflux œsophagien naissent aussi d’une agression continue du tissu. Ceux du sein ou de la prostate sont liés à l’âge et peut-être également aux produits hormonaux que les femmes ont pu prendre ou aux modes de vie des hommes. Enfin, si dans les organes filtres (les poumons, les reins, le foie, qui brassent énormément de produits étrangers), les cellules ont accumulé des erreurs de mutation, si de surcroît les défenses immunitaires générales se sont abaissées, si le stress de la personne envoie en permanence des signaux de déséquilibre à son organisme, alors un cancer aura plus de risques de se déclencher et de ne pas être éliminé naturellement.

Gènes économes

– Descendons encore d’un cran, au niveau des gènes, cette fois. Sont-ils concernés par le vieillissement, eux aussi?

– C’est l’objet d’une autre révolution scientifique. On entrevoit la possibilité d’une «prolongation génétique de la vie». Des résultats déterminants ont été obtenus au cours de ces dix dernières années sur les gènes dits «du vieillissement». Il semble (en tout cas chez des organismes tels que des levures, des vers, la mouche drosophile) que trois catégories de gènes accélèrent ou ralentissent le vieillissement: 1) ceux qui «allument» ou «éteignent» les processus de mise en réserve ou d’utilisation d’énergie; 2) ceux qui activent les processus antioxydants protégeant les cellules contre les radicaux libres; 3) ceux qui régulent et réduisent l’usure de la mitochondrie, la petite chaudière de nos cellules.

– L’une des découvertes a été justement faite avec le petit ver dont nous parlions par Cynthia Kenyon de l’Université de Californie à San Francisco, une chercheuse qui, soit dit en passant, semble avoir appliqué sur elle ses propres découvertes, car elle ne fait pas vraiment son âge…

– Elle mérite, en effet, qu’on parle d’elle en premier. En 1993, cette scientifique a réussi à plus que doubler la durée de vie de ce petit ver, passant à 45 jours au lieu de 18 jours pour les vers normaux8. Pour cela, elle a modifié un gène de l’animal (appelé IGF-1): celui-ci ordonne la fabrication d’une protéine qui joue le rôle de récepteur de l’insuline et de son «cousin», le facteur de croissance IGF-1.

– Ça se complique…

– Mais non. Ces deux substances, l’insuline et le facteur de croissance, agissent comme des messagers chimiques d’un bout à l’autre du corps (par exemple, quand une cellule de muscle est contactée par de l’insuline, elle augmente sa consommation de glucose ou le stocke pour un usage ultérieur). Si on supprime ce fameux gène, la cellule n’est plus sensible au message de l’insuline. En somme, ce gène place le corps soit dans un mode d’économie, soit dans un mode d’utilisation immédiate. Eh bien, en le modifiant vers le mode «économie», on a réussi à prolonger de plus de 50 % la durée de vie de l’animal.

– Bon. C’est un petit animal qui ne possède pas plus d’une dizaine de milliers de gènes. Nous, nous ne sommes pas des vers de terre, et nous en avons trois fois plus.

– Parfaitement. Mais on travaille maintenant sur les gènes de la souris, puis de l’homme, et on pense que l’on pourrait modifier la vitesse de vieillissement d’ici à vingt ans.

– Aurait-on trouvé le gène du vieillissement?

– Non. Plutôt une sorte de chef d’orchestre qui agit sur des gènes liés au métabolisme énergétique, donc à la capacité du corps à s’oxyder. Connaître les autres chefs d’orchestre génétiques serait précieux pour ralentir le vieillissement. Or on vient d’en découvrir certains grâce à un étonnant phénomène mis en lumière dans les années 19309: en réduisant d’environ 40 % le nombre de calories consommées par jour par des rats, on a prolongé leur durée de vie de 20 à 40 %. L’influence de la restriction calorique sur la longévité a ensuite été vérifiée sur des organismes vivants aussi divers que des levures (70 % de vie en plus!), des souris, des vers, des araignées, des poissons ou des mouches…

– … et sur l’animal humain?

– Une majorité de chercheurs estime que cela est aussi valable chez l’homme. Ce qui reviendrait pour nous, si nous voulons obtenir des résultats significatifs sur l’allongement de la vie, à consommer 1 700 à 1 900 calories par jour au lieu de 2 300 pour la normale (certains allant jusqu’à 3 500, voire 4 000 dans le cadre de consommations excessives). Des travaux récents10 ont permis d’identifier un gène11 impliqué dans ce phénomène qui agit comme un interrupteur moléculaire pour «allumer» ou «éteindre» d’autres gènes, mettre le corps en veilleuse et le protéger des radicaux libres. L’organisme se croyant stressé, et en quasi-famine, baisse ses feux pour survivre plus longtemps et, ce faisant, vieillit moins vite. En manipulant ce gène chez la levure et notre petit ver C. Elegans, on a augmenté de 30 à 50 % la durée de vie de ces organismes.

Le correcteur d’orthographe

– Manger moins pour vieillir moins vite… Nous en reparlerons au chapitre suivant, mais ce n’est pas très enthousiasmant…

– C’est pourquoi l’on a essayé d’identifier des molécules qui pourraient agir sur ce fameux gène et mimer ces effets bénéfiques sans que nous ayons besoin de nous priver exagérément de nourriture. Et on les a trouvées12. Ce sont tout d’abord des polyphénols, substances naturelles présentes dans toutes les plantes, dans les fruits et les légumes où elles jouent notamment un rôle de colorants et d’antioxydants. Parmi elles: la quercétine que l’on trouve dans les pommes et le thé. Mais on a identifié une molécule plus puissante encore, qui prolonge la vie des levures de 70 %. Cette mystérieuse molécule n’est autre que… le resvératrol un des composants essentiels du vin rouge.

– Voilà donc une bonne nouvelle qui fera plaisir aux viticulteurs!

– C’est une molécule assez simple, apparentée à certaines hormones du corps. Elle produirait sur les cellules un effet analogue à la restriction calorique et semblerait également protéger les mammifères contre certains cancers et d’autres maladies liées au vieillissement… Ce qui permettrait aussi d’expliquer les raisons du French paradox: les Français qui consomment beaucoup de graisses (et du foie gras) n’ont pas plus de maladies cardiovasculaires que les autres, ni une durée de vie raccourcie. Le resvératrol, composant essentiel de la pulpe du grain de raisin, et donc du vin que nous consommons, nous protégerait des maladies cardiaques et, en guise de bonus, ralentirait le vieillissement. Pasteur disait déjà que le vin rouge était un formidable antiviral (les flavonoïdes, appartenant à la grande famille des polyphénols, détruisent certains virus). La génétique va au-delà de ses espérances.

– Et elle nous mène sur des chemins plutôt inattendus. C’est tout pour les gènes?

– Oh non! Il faut une fois encore parler de nos mitochondries, décidément au cœur de cette histoire. Elles ont leur propre ADN, elles se divisent elles aussi, et il arrive que se produisent des erreurs de copies. Or, on sait que celles-ci sont automatiquement réparées par une enzyme qui agit comme le correcteur orthographique d’un ordinateur et qui, en évitant l’accumulation d’erreurs, retarde le vieillissement. Des chercheurs suédois13 ont identifié le gène qui commande ce «correcteur» et, pour vérifier leur théorie, ils ont créé une lignée de souris chez lesquelles ce gène avait été modifié. Résultat: jusqu’à l’âge d’environ 25 semaines, les animaux semblent normaux; progressivement, ils présentent les signes caractéristiques d’un vieillissement prématuré: perte de poids, chute des poils, courbure de la colonne vertébrale, ostéoporose, anémie, baisse de la fertilité, augmentation de la taille du cœur. Les premières souris mutantes meurent vers l’âge de 40 semaines. Aucune d’entre elles ne survit plus de 61 semaines, alors que dans un groupe de souris normales, plus de 90 % sont encore, au même âge, en excellente santé, le poil brillant et les moustaches alertes. L’espérance de vie des souris mutantes a donc été réduite de moitié par la simple modification d’un gène de la mitochondrie.

– Précieux gène qui nous répare en permanence sans que nous le sachions…

– Et précieuses mitochondries… On sait aussi maintenant que les radicaux libres qu’elles produisent quand elles fonctionnent à plein régime se retournent aussi contre elles, abîment leur ADN, accélèrent leur usure et donc le vieillissement des cellules dans lesquelles elles se trouvent… On a montré récemment14 (après comparaison des gènes de plusieurs générations dans des familles distinctes) que trois maladies du troisième âge, l’hypercholestérolémie (trop de cholestérol), l’hypertension et l’hypomagnésie (manque de magnésium) sont elles aussi causées par la seule mutation de l’ADN des mitochondries. On voit donc l’immense intérêt de prendre bien soin d’elles.

Terrible bruit de fond

– On s’y perd un peu dans le ballet de ces mitochondries et de ces cellules folles. Si l’on fait le bilan des recherches les plus récentes, peut-on enfin expliquer pourquoi on vieillit?

– Résumons. En se renouvelant, les cellules font des erreurs de copie, elles se réparent mal. Leur petite chaudière interne polluant de plus en plus, elles s’oxydent, échangent moins bien avec leurs voisines, envoient de mauvais signaux chimiques, ce qui suscite des dégradations en cascade. Dans notre corps, la communication cellulaire se brouille, les dérèglements se multiplient… Le phénomène est accentué par nos conditions de vie et d’environnement: une alimentation trop abondante provoque la surchauffe des machines cellulaires; si elle est trop riche, les graisses dangereuses sont mises en réserve et peuvent être réutilisées notamment par les cellules cancéreuses pour se diviser. Cela se produit de plus dans un corps dont les défenses immunitaires sont affaiblies, d’où un risque accru d’apparition de maladies dégénératives… Le vieillissement, tel qu’on le voit aujourd’hui, est ainsi la convergence de tous ces phénomènes: un désordre croissant dans le monde cellulaire, comme un grésillement parasite dans un circuit électrique, un «bruit de fond» qui supplante les signaux précis de la vie.

– Un bruit de fond inéluctable, d’autant que nous ne pouvons pas vivre sans oxygène. Nous sommes donc condamnés à nous oxyder, à rouiller. Et à vieillir...

– Certes, mais voilà justement tout l’enjeu de cette nouvelle révolution: nous pouvons au moins jouer sur les facteurs aggravants et diminuer les risques. Il y a des risques choisis: s’exposer au soleil, fumer, boire trop de café, trop d’alcool, prendre des drogues, manger trop de graisses… Ils sont d’autant plus sérieux que nous cumulons ces divers comportements. Il y a les risques involontaires: une longue exposition à des radiations à faible dose, à des polluants. La pollution de l’air par l’oxyde d’azote et l’amiante, les poussières des maisons, les colles des tapis et des moquettes, les produits de nettoyage, tout cela désorganise les métabolismes de notre corps. Nous n’en prenons pas assez conscience. Il faudra éliminer certains produits, mais cela n’est pas simple: remplacer le plomb dans l’essence par du benzène ou d’autres produits plus volatils peut être tout aussi dangereux. Il faut peser le pour et le contre, et ne pas prendre des décisions unilatérales pour de simples raisons écologiques car, dans un milieu interdépendant, cela peut créer à terme un désordre plus grand que celui qu’il était supposé endiguer.

– Pas simple, en effet… Nous n’arrêtons pas d’inventer de nouveaux polluants.

– Les industriels ont encore de sérieux efforts à faire. En testant l’an dernier le sang de 47 volontaires appartenant à 17 pays (dont 39 députés européens)15, on y a trouvé des éléments indestructibles: du chlore, de la dioxine, du mercure, provenant de pesticides organo-chlorés, de polychlorobiphényles, de phtalates, de composés perfluorés, de retardateurs de flammes au bromure, produits qu’utilise l’industrie dans les cartes mères des ordinateurs par exemple pour les faire durer plus longtemps (on les respire quand le ventilateur de notre ordinateur fonctionne), ou qui sont ajoutés à la matière des tissus, pour les rendre ininflammables… Actuellement, seuls 10 % des produits nouveaux et chimiques lancés dans l’environnement sont testés pour leur innocuité à long terme. Des scientifiques ont solennellement signé un appel16 demandant aux industriels de prendre leur responsabilité. Et puis, il y a les rayons cosmiques qui nous traversent et provoquent eux aussi des mutations. Nous sommes donc soumis en permanence à des agressions que le corps répare, mais parfois pas suffisamment.

– Les médicaments, aussi, peuvent accentuer le vieillissement.

– Oui. L’augmentation des soins hospitaliers et l’aide médicale aux personnes âgées n’accroissent pas en proportion l’espérance de vie. Les gens âgés ont tendance à prendre plusieurs médicaments contre l’hypertension, le cholestérol, le stress, auxquels s’ajoutent des somnifères. Comme leurs défenses immunitaires sont abaissées, la synergie des médicaments peut constituer des effets iatrogènes: ce qui est censé nous guérir peut nous rendre éventuellement encore plus malades.

Bientôt 140 ans!

– Et pourtant, nous avons de bonnes raisons d’être optimistes, disiez-vous, car, malgré cela, notre durée de vie augmente et nous vivons de mieux en mieux.

– Les progrès de la médecine, la lutte contre les maladies infectieuses, la diminution des maladies infantiles, la réduction de certains poisons dont on sait qu’ils raccourcissent la vie, la diminution de la consommation de tabac et d’alcool… Tout cela conduit à ce que les démographes appellent des courbes démographiques carrées: on meurt à peu près tous au même âge, et de moins en moins prématurément. Les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire vont créer un nouveau bond en avant. L’enjeu, ce n’est plus tellement de vivre longtemps, mais de bien vivre ce supplément d’âge. On pense que la durée normale d’un être humain est de 120 à 140 ans.

– 120 à 140 ans! Bonne nouvelle pour la fin du premier chapitre.

– Quelques chercheurs estiment que l’on pourrait aller plus loin. Le plus extrémiste de tous est sans aucun doute l’Anglais Aubrey de Grey de l’Université de Cambridge17, personnage controversé, mais qui jouit cependant d’un grand respect auprès des meilleurs spécialistes du domaine. Venant du monde des ingénieurs et non de celui des biologistes, il pense que ces derniers ont passé trop de temps à se poser des questions théoriques. Pour lui, un des droits inaliénables de l’homme est sa liberté de choisir de vivre aussi longtemps qu’il le souhaite. Étape par étape, la vie humaine pourrait être selon lui prolongée pratiquement indéfiniment. Il propose par exemple de régénérer les cellules qui ne se renouvellent pas grâce à des cellules embryonnaires régulièrement transfusées, d’éliminer les cellules indésirables (cellules de graisse ou cellules vieillissantes), de protéger les quinze gènes de l’ADN des mitochondries en les plaçant dans le noyau des cellules… Toutes ces propositions sont spéculatives et, on le sait, il y a un monde entre l’idée et sa réalisation pratique. La nature a plus d’un tour dans son sac. Mais ces voies audacieuses sont capables de guider les chercheurs vers de nouvelles pistes.

– Il y a en tout cas de grandes chances pour que les prochaines générations passent en masse le cap du centenaire.

– Oui. La célèbre Jeanne Calment a vécu jusqu’à 122 ans (1875-1997). Une fille qui naît aujourd’hui en France a une chance sur deux d’être centenaire. Grâce aux progrès de la médecine et de l’hygiène, nous avons déjà gagné trente ans de durée de vie en un siècle (dix mois au cours des deux dernières années). Aujourd’hui, 90 % des femmes atteignent 80 ans. En 2004, l’espérance de vie était de 76,7 ans pour les hommes et de 83,8 ans pour les femmes, soit une moyenne de 80 ans pour les deux sexes. Un record jamais atteint en France. Pourtant, nous mourrons quand même «prématurément». Nous pourrions donc allonger encore d’une trentaine d’années la durée pour la grande majorité des gens, et plus encore, vivre en forme pendant ces années supplémentaires. Nous ne pouvons pas vraiment agir sur notre héritage génétique ni sur l’environnement dans lequel nous vivons. En revanche, nous pouvons contrôler notre mode de vie, notre alimentation, l’entretien de notre corps, notre sommeil, notre résistance au stress. Le défi d’aujourd’hui, ce n’est pas d’accéder à l’immortalité, mais bien de réussir sa longévité.