Transcription de la conclusion de Joël de Rosnay "Santé et Intelligence Artificielle : de nouvelles espérances pour l'homme" au Symposium de l'European Institute For Health (EIH) du 9 mars 2018 à Bruxelles sur le thème "Insuring a healthy health: The winning model"
Je n'aime pas trop les conclusions qui ''ferment'', je voudrais plutôt faire une ouverture prospective sur les 20 prochaines années autour des sujets dont nous avons beaucoup parlé durant ce colloque : La santé, le numérique, la participation de chacun, l'Intelligence Artificielle (IA), les assurances etc...
Nous changeons de modèle de santé et nous passons du modèle de santé thérapeutique directif, Top-Down, vers un modèle préventif, assisté et participatif, tout ceci grâce au numérique. Vous allez le constater de plus en plus grâce à l'IA et c'est un enjeu extrêmement important pour l'avenir. Difficile à déceler, il y a une accélération, une complexité des sujets et une interaction. Il faut avoir une vision globale et pluridisciplinaire. Cet aspect pluridisciplinaire est illustré par le mariage du biologique, du numérique, des NBICE...On voit donc l'importance d'avoir une vision contextuelle avec cet aspect prospectif vers l'avenir.
Nous voyons les extraordinaires progrès dans le numérique et le rapprochement du numérique, du biologique, et surtout de l'IA que je préfère appeler l'Intelligence auxiliaire. je pense que l'IA fait peur : elle se plaque sur l'intelligence humaine et on a l'impression qu'elle la concurrence. Ainsi avec le concept d'hommes et de femmes augmentés on pourrait avoir plus peur de l'IA que de l'ignorance naturelle, d'où l'intérêt de faire de la formation, des congrès, des colloques comme celui que nous avons ici. L'IA arrive dans les expérimentations de l'industrie, dans les expérimentations scientifiques et dans la communication comme avec Watson, avec les IA de Google, AlphaGo ...Hector Upegui d'IBM a donné d'excellents exemples de l'usage de l'Intelligence auxiliaire dans le domaine médical et dans celui de la recherche. C'est également le cas en matière de biologie où le progrès est d'arriver à une synthèse dans la compréhension des mécanismes qui conduisent aux grandes maladies dégénératives qui touchent le 3ème âge : maladies du vieillissement principalement autour de l'oxydation et de l'inflammation. L'auto-inflammation du corps et l'oxydation, sorte de rouille du corps due à la pollution, aux radicaux libres, à une mauvaise alimentation, à la fumée de cigarette conduisent à un vieillissement précoce, prématuré et sont souvent à l'origine de nombreuses maladies.
Il y a eu aussi de nombreux progrès sur les gènes, sur le Génome, mais pas seulement : Il y a également des projets sur le Glycome ( sucres entrant dans la composition de la membrane des cellules), sur le Protéome (protéines et enzymes: mécanismes de base du fonctionnement des cellules), sur le Métabolome (ensemble des mécanismes de gestion et de traitement cataboliques, et anaboliques des molécules qui constituent nos cellules), et enfin sur le Microbiome dont vous connaissez l'importance: Les cent mille milliards de microbes qui vivent dans notre corps fabriquent des substances utiles pour ce dernier: des vitamines, des suppléments, qui nous permettent de résister aux maladies et d'être en meilleure santé. Une nutrition équilibrée n'est pas seulement bonne pour nous, mais l'est surtout pour notre Microbiome: ''Plus vous rendez votre Microbiome heureux, plus vous êtes en bonne santé, et moins vite vous vieillissez''.
Donc grande importance du Microbiome, mais aussi et surtout de l'Epigénome: c'est la base de tous les mécanismes qui régulent l'expression de notre ADN. Nous sommes nés avec un ADN et jusque là on pensait que le programme du Génétique contrôlait tout notre corps et que l'on y pouvait rien. Or on a découvert que l'Epigénome (le terme vient de Waddington en 1949). Epi veut dire ''au dessus''. Au dessus de la génétique, c'est donc l'Epigénétique qui permet de contrôler l'expression des gènes. Les clefs de l'Epigénome, c'est l'action quotidienne sur 5 éléments de notre corps qui va conduire à des modifications chimiques jusqu'au noyau des cellules. Ces 5 éléments fondamentaux sont:
- Une nutrition équilibrée
- Un exercice régulier et modéré
- Le management du stress
-Le plaisir de faire ce que l'on fait
-L'harmonie du réseau social, familial, et professionnel
Ces 5 éléments combinés entre eux vont conduire à produire des enzymes et des Micro- ARN qui vont agir comme des interrupteurs, des contrôleurs, des clefs au niveau des multiples réactions du corps, qui vont en fait ouvrir ou fermer certains gènes
Pour ouvrir ou gènes qui vont être exprimés plus ou moins ou pas du tout, l'alimentation, le sport, le management de stress joueront leur rôle en suscitant la production de micros ARN. De très nombreuses publications sur l'Epigénétique montrent les synergies entre de très nombreux produits naturels combinés entre eux. Dans la tradition alimentaire de beaucoup de pays on retrouve ces constats: ex le curcuma, le jus de grenade, le thé vert, etc....Il ya des effets sur les enzymes HAT ou les enzymes HMT qui jouent un rôle dans la méthylation ou l'acétylation. C'est une grande surprise de constater que la synergie de produits naturels a parfois des effets plus importants que des médicaments chimiques traditionnels de synthèse. L'Epigénétique est une véritable révolution car elle conduit à la prévention quantifiable: On peut ainsi aider les gens à modifier leur comportement. L'industrie pharmaceutique et agro-alimentaire peuvent en tirer largement parti. Parmi les changements que l'on a connus et qui vont se prolonger dans les 10 prochaines annéés l'épigénétique en est un.
Il nous faut maintenant aborder l'entrée dans l'écosystème numérique. Bien sûr on peut parler d'Internet pour les moteurs de recherche etc... Mais l'écosystème numérique c'est beaucoup plus: on est en permanence connecté, on est pas sur Internet on est dans Internet. La seconde grande révolution, c'est le Smartphone qui est un ordinateur très puissant (on dit souvent 20.000 fois plus puissant que les premiers PC des années 70). Il permet bien sûr d'aller sur les moteurs de recherche et il augmente notre intelligence car c'est en fait une télécommande universelle : le Smartphone avec l'œil de sa caméra voit dans l'environnement les QR Codes et l'on peut déclencher des fonctions comme les télécommandes de TV ou de magnétoscope. Cela nous permet de nous ''augmenter'' nous-mêmes dans un environnement cliquable, ce qui change nos interactions. Cela nous conduit également à un environnement intelligent qui nous permet de devenir entre autres un ''patient augmenté''. Ceci est extrêmement important: les gens s'informent avec les moteurs de recherche, les réseaux sociaux dans une sorte de coéducation. Ceci n'est pas sans risque, notamment en cyber médecine lorsque l'on achète sur Internet des produits copiés.
Cet environnement cliquable nous amène à parler du Tableau de bord de santé personnalisé : On peut désormais mesurer des paramètres et surtout à les mesurer entre eux, et de permettre ainsi l'intégration. Le patient aura une relation différente avec son médecin: on arrive donc au concept de ''conseiller de vie'' qui va jouer un rôle d'assistant en permanence grâce à toutes les informations collectées. Aujourd'hui, c'est un peu ridicule, on a 2 éléments sur le tableau de bord: un miroir et une balance : on se regarde et l'on peut dire: je n'ai pas bonne mine, on se pèse, et l'on constate que l'on a pris ou perdu 2 kilos: c'est extrêmement limité. désormais, on peut arriver à une Ubérisation des systèmes de santé et des intermédiaires comme les GAFA peuvent se glisser en un clic à l'intérieur des gros systèmes de santé et sont de plus en plus nombreux et actifs dans ces tableaux de bord de santé.
Google et la e-santé comme Google Fit, ou Apple Health Kit font en fait une sorte de dossier médical personnalisé (ce que l'on cherche à réaliser en France depuis des dizaines d'années) mais on va très vite nous proposer de réunir dans un système numérique unique des données essentielles et anonymes pour le patient. Les recherches opérées par Apple et d'autres conduisent à de nouveaux modèles qui vont nous aider. On va abandonner le modèle classique, c'est à dire le modèle thérapeutique directif Top-Down vers un modèle émergent et moderne de prévention assistée, de maintenance de la santé, plutôt que de traitement par médicaments. Ceci se met en place et l'on va ainsi grâce au numérique vers la Médecine 4P dont vous avez beaucoup entendu parler.
-Préventive
-Prédictive
-Personnalisée
-Participative
Ceci concerne énormément Big Pharma et l'industrie Agroalimentaire. Je dis souvent à mes interlocuteurs de l'industrie pharmaceutique qu'elle n'est pas dans le bon business parce que son business c'est de faire des marges sur des produits remboursés par la Sécurité Sociale en pharmacie, alors que le bon business ce n'est pas la marge, c'est la rente, c'est à dire une sorte d'abonnement pour être maintenu en bonne santé. C'est ce que fit le médecin chinois: vous ne payez pas quand vous êtes malade, vous le payez quand vous êtes en bonne santé par un abonnement pour qu'il vous maintienne en bonne santé. Le futur de l'industrie pharmaceutique passe par la rente à l'aide d'un contrat passé avec des patients éclairés, augmentés, qui souhaitent être maintenus en bonne santé pour le futur. C'est un changement fondamental : on y arrive, c'est ce que j'appelle le Programme de Maintenance de la Santé (PMS en abrégé) qui tient compte de la participation des patients éclairés.
La très bonne notion de mandataire numérique qui a été évoquée par Laurent Caredda, et que l'on peut illustrer comme un ensemble de services tenant compte de la connexion des gens au réseau numérique et de leur formation à se servir de ces réseaux, va conduire au conseil personnalisé (puisque l'on va connaitre l'ADN etc...) Les gens vont mieux se ''mesurer'' et pourront communiquer leurs données à leur médecin, ou à Big Pharma associé aux assureurs : c'est l'un des thèmes de notre colloque. Dans l'un des rôles de l'assurance pour le futur, je vois un mariage entre la Big Pharma et les grandes compagnies d'assurance à l'échelle internationale, ce que j'appelle d'un terme abrégé: la Pharmassurance.
En allant un peu plus loin, pour ce qui est de l'IA et des robots, est ce que cela va conduire les médecins à utiliser de plus en plus l'IA (Le médecin devenant un conseiller de santé)? Cette intelligence auxiliaire est déjà en cours et je conseille aux industriels, aux entrepreneurs, aux médecins de déjà commencer à l'utiliser. A l'échelle internationale on peut télécharger Bluemax d'IBM sur le cloud (c'est un freemium que l'on peut utiliser et payer au fur et à mesure. Pour ce qui est de l'IA et de la robotique (les robots sont des algorithmes dans les ordinateurs), on peut constater que l'IA est déjà utilisée par les assurances : Au Japon,la Fukoku Mutual Life Insurance Company, à la place de 34 salariés utilise Watson pour pour collecter des certificats médicaux, des historiques médicaux, etc, pour calculer le prix des prestations à rembourser, cela est donc fait automatiquement
L'IA aide les médecins à faire des diagnostics. Pour les radiologues, à établir des corrélations: Par exemple pour la tuberculose, 97% des cas sont évalués par l'intelligence numérique c'est à dire l'intelligence auxiliaire.
Fin janvier 2018 nous avons organisé, à la cité des sciences, une grande manifestation sur ''la Médecine du futur et l'IA'' et j'ai eu l'occasion de tester un robot chirurgien : Le robot Da Vinci: il ne remplace pas le chirurgien mais il lui est très utile car très précis. L'IA et la robotique assistent déjà le médecin, peut-on aller plus loin? Certains le pensent comme l'entrepreneur américain Elon Musk qui a créé bon nombre de choses: Space X, Hyper loop, SolarCity, Tesla, et qui a désormais l'idée de connecter en permanence nos cerveaux avec l'IA: non seulement avoir accès à l'intelligence auxiliaire mais être également en symbiose avec elle. Avec sa société Neuralink, il a l'idée d'implanter une puce dans le cerveau humain, puce qui servirait à poser des questions à l'IA. Je n'aime pas l'idée de l'invasivité du corps aussi, je pense qu'avec des outils mettables: boutons de col, boucles d'oreille, semelles de chaussure, ceinture de sous-vêtement, on peut extraire et envoyer des infos dans le corps en temps réel, en interactivité. Une symbiose me parait possible dans les années à venir avec l'intelligence auxiliaire. Beaucoup de corps de métiers auront à y gagner en efficacité: cols blancs, avocats, notaires, consultants, journalistes....On y va...Beaucoup d'expériences sont faites...Il faut expérimenter dès maintenant pour aller plus loin : c'est ce que j'expliquais déjà en 1995 dans mon livre ''l'homme symbiotique'': il y avait là quelque chose de prémonitoire. On va interfacer nos cerveaux dans un réseau neuronal planétaire créant ainsi une nouvelle forme de conscience collective. Le point de singularité c'est quand cette conscience collective prendra t'elle conscience d'elle même? Là on n'y est pas encore: peut-être dans 50 ans ou dans un siècle. je vous laisse réfléchir à ce que cela implique et je voudrais vous citer une phrase extraordinaire que je partage d'Antonio Gramsci, militant communiste italien mort en 1937 ''Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté'': c'est ma vision positive et d'espoir pour l'avenir.
Nous allons pouvoir donner du travail au robots et conserver de la vie pour les humains, dans le partage, la solidarité, la générosité, l'amour et le respect des autres. IA et machines automatiques libèrent pour l'homme du temps pour la création artistique, musicale, scientifique...Le travail des robots va libérer chez nous toute une série de caractéristiques de notre cerveau qui sont inhibées aujourd'hui par la concurrence, la compétition, le nez sur le guidon...Et plutôt que le transhumanisme égoïste, narcissique, concentré sur l'individu on ira vers l'hyper humanisme qui est solidaire, qui partage grâce au numérique et aux réseaux sociaux et qui donne ainsi un espoir à l'humanité.
Vous en saurez plus dans mon dernier livre : ''la symphonie du vivant'' où il est question d'Epigénétique mais aussi de changement de l'ADN social et de l'Epi mémétique (gènes sociétaux)