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Interview par Konbini

Interview de Joël de Rosnay pour la rubrique Move it Move it du site Konbini - 21 juin 2018

 

Depuis sept ans, le festival Wheels & Waves accueille motards et surfeurs en quête d’adrénaline pour un joyeux rassemblement, de Biarritz en France jusqu’à San Sebastián en Espagne. Un rassemblement au sein duquel on peine à imaginer un octogénaire surfer. C'est mal connaître Joël de Rosnay, à qui l’on doit l’arrivée du surf en France. Du haut de ses 80 ans, il nous a accordé un peu de son temps pour nous dévoiler le secret de sa longévité, nous conter ses souvenirs et prédire l’avenir de la discipline.

Imaginez un play-boy de 80 ans, teint hâlé, muscles saillants et cheveux d’argent. Dans son regard, un éclat unique qui nous rappelle que le bonhomme est spécial : un don pour surfer sur sa vie comme sur les vagues, et le goût du travail qui va avec. Des vagues, il en a vu passer : en plus d’avoir eu le culot, avec sa bande, d'être les premiers à surfer en France, Joël De Rosnay est docteur en sciences, ancien enseignant-chercheur au prestigieux MIT et auteur d’une petite vingtaine de livres sur les nombreux sujets qu’il maîtrise.

Aventurier ouvert au monde, avec un œil braqué sur le futur, il est l’un des surfeurs les plus illustres de l’histoire de ce sport. Joel raconte aujourd’hui son parcours comme s'il était banal. Sans doute par habitude, après soixante ans à relater le fabuleux conte de sa vie.

Konbini | Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Joël De Rosnay | Je suis un scientifique, écrivain, prospectiviste et conférencier, passionné par le sport de glisse.

On dit que vous avez importé le surf en France. Comment ça s’est passé ?

L’histoire débute à Biarritz en 1957, j’avais vingt ans à l’époque. Là-bas, J’ai eu la chance de rencontrer un scénariste américain, Peter Viertel, parti tourner un film en Espagne [Le Soleil se lève aussindlr]. En voyant les vagues, il a fait venir une planche de surf de Californie mais a dû partir avant sa livraison. Il m’a alors laissé sa planche pendant ce temps-là. Elle était en balsa, peinte en vert et rouge. On s’est tout simplement mis à surfer.

L’année dernière, le surf français fêtait ses soixante ans. À l’époque, comment ont réagi les Basques àla vue des premiers surfeurs ?

Les Basques pratiquaient déjà le surf en canoë et le bodysurf sans planche, ils étaient donc familiarisés avec la base du surfing.

Le Pays basque est le berceau du surf européen, du coup, vous avez un peu importé le surf en Europe ?

Oui, on peut le dire, mais les Anglais en Cornouailles ont été également parmi les premiers.

Comment c’était, la côte des Basques, à l’époque ? Vous deviez être des "stars" dans le coin, non ?

La côte des Basques était déserte, nous étions une dizaine de surfeurs. Nous étions un vrai spectacle, que les promeneurs venaient contempler depuis la célèbre digue.

En 1957, Biarritz la bourgeoise endormie a pris l’arrivée du surf comme un coup de fouet. Dans la ville, les costauds qui osent se lever sur les vagues se comptent alors sur les doigts de la main. On les surnomme "les Tontons surfeurs". Tout va très vite : ceux-là seront les premiers fabricants de planches, ouvriront les premiers surf shops du pays et organiseront des compétitions, dont le premier championnat de France de surf que Joël de Rosnay remportera en 1960. Aujourd’hui, le surf fait partie de l’ADN de la ville.

 

Ils écoutaient quoi comme musique, Les Tontons surfeurs ?

Nous écoutions lesBee Gees, Carly Simon, Ike et Tina Turner. Mais mon morceau de surf music préféré, qui me donne des envies d’océan, c’est Surfin’ U.S.A., des Beach Boys.

Quel est, selon vous, le meilleur spot de France ? Et le meilleur spot européen ?

Les meilleurs spots européens sont les plages deParlementia et de Lafitenia [deux spots basques respectivement situés à Bidart et Saint-Jean-de-Luz, ndlr].

Y a-t-il une vague que vous n’avez jamais prise mais qui vous fait rêver ?

La gauche du tube de la vague de Pipeline, à Hawaï, me fait rêver.

Pipeline... C’est dans ses rouleaux, aussi, que s’est écrite l’histoire du surf. Théâtre des scènes de glisse les plus mémorables, c’est aussi la vague la plus photographiée du monde. Celui qui s’y mesure gagne le respect de ses semblables et des admirateurs, qui assistent au spectacle près du rivage, aux premières loges.

Vous surfez depuis 1957, ça fait soixante et un ans de vagues. Quel est votre secret pour tenir le rythme ?

Le secret n’en est pas un : c’est l’entraînement ! Je m’entraîne régulièrement, tous les jours de l’année à la maison, avec vélo, rameur, vélo elliptique et poids.

Avez-vous un rituel matinal, une morning routine ? Que ce soit dans le repas ou les éventuels exercices ou étirements que vous pratiquez ?

Oui ! J’ai un rituel de réveil musculaire que je fais tous les jours : des abdos, du renforcement des triceps… En faisant des pompes le matin, je me lève comme si j’étais sur une planche de surf. Je me place aussi sur une sorte de coussin gonflable vendu sur internet, pour améliorer mon équilibre.

Y a-t-il une différence quand on se réveille au lendemain d’une journée de surf à 30 et à 80 ans ?

Il n’y a pas de différence. Le bonheur d’avoir pris de belles vagues, de les avoir comptées, en se repassant le film dans la tête, est toujours là, intact.

Vous comptez surfer jusqu’à quel âge ?

Je compte surfer jusqu’à 95 ans, après je me mettrai au golf.

Vos études et connaissances scientifiques vous ont-elles aidé à améliorer votre surf ?

Oui, mes connaissances scientifiques m’ont évidemment aidé sur le plan médical et musculaire, sur la résistance à l’effort. La nutrition équilibrée et l’exercice musculaire adapté ont soutenu ma pratique du surf.

Avez-vous un modèle dans la vie ?

Mon modèle en matière de vie de surfeur est Laird Hamilton. Sinon sur le plan philosophique, le prêtre jésuite Teilhard de Chardin. Mais également Jacques Monod [biologiste et biochimiste de l’Institut Pasteur, prix Nobel de médecine en 1965, ndlr].

Laird Hamilton est un free surferde grosses vagues qui a vécu toute sa vie à Hawaï. Le voici sur Jaws, l’une des vagues les plus terrifiantes que l’océan a à offrir.

Vous avez écrit un livre intitulé Surfer la vie. Le surf est-il, pour vous, une métaphore de la vie ?

La vie, c’est êtreen déséquilibre contrôlé, de manière à poursuivre ses objectifs malgré les événements, tout en s’adaptant. Le surf, c’est pareil.

 

Avez-vous un bon livre de sport à conseiller à nos lecteurs ?

Si vous voulez de bons livres de surf, je peux conseiller ceux de Hugo Verlomme sur la glisse, celui d’Alain Gardinier sur la vie de François Lartigau, ou l’ouvrage Miki Dora, De Malibu à la côte basque.

Si vous n’aviez pas fait de surf, vous auriez aimé pratiquer quel sport ?

Je faisais de la compétition de ski avant de surfer, j’aurais donc continué à pratiquer le ski − j’en fais toujours aujourd’hui − en ajoutant le snowboard extrême et le freeride.

Vous qui avez beaucoup écrit sur l’avenir, comment imaginez-vous le surfeur du futur ?

J’ai écrit pas mal d’articles sur les vagues artificielles et les piscines à vagues. C’est le présent, mais tout ça va prendre de l’ampleur. J’ai également parlé des nouvelles planches, des nouvelles combinaisons, et des possibilités d’adapter des plages grâce à des fonds modifiés pour améliorer la qualité des vagues.

Un conseil pour un jeune qui veut se mettre au surf ?

D’abord, faire de la musculation pour ne pas se sentir fatigué quand on rame, puis respecter les autres surfeurs. Mettre un casque, aussi !

À quelle question adoreriez-vous répondre ?

Le surf, ce n’est pas seulement sur l’eau mais aussi sous l’eau. Voici donc la question : "Avez-vous peur lorsqu’une grosse vague vous retient plus de quinze secondes sous l’eau ?"Et la réponse est "non"! Car je me suis entraîné en apnée, physiquement et mentalement, pour éviter cette peur.

 

Votre vie mériterait son biopic hollywoodien. C’est pour bientôt ?

Je préfère ne pas parler de moi mais agir comme un exemple pour les autres dans la relation humaine, plutôt que dans la prétention de la démonstration filmée.

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Parmi les champions Français, on peut citer Jérémy Florès ou Joan Duru, mais aussi les championnes Justine Dupont et Johanne Defay. Derrière eux, de nouveaux adeptes, de plus en plus nombreux chaque année. Une nouvelle génération qui promet au surf de beaux jours. Pourquoi ne pas profiter de vos vacances pour vous essayer vous aussi à cette discipline ? Consultez notre liste des clubs de surf pour en trouver un proche de vous ! Aloha !