Interviews

Ils ont pensé demain...

Figaro Magazine, Interview par Pascal Grandmaison, Samedi 19 novembre 2005

Internet, téléphone, robotique, nanotechnologies, clonage… Notre mode de vie a déjà changé et continue d’évoluer. Doit-on s’en réjouir ou rester méfiant ? Trois experts nous exposent leur vision des mutations passées et nous détaillent les technologies qui façonnent dès à présent notre avenir.

 

Docteur ès Sciences, et Conseiller du Président de la Cité des Sciences et de l'Industrie, Joël De Rosnay est spécialiste en sciences et technologies appliquées à l’homme. Il vient de publier un livre sur les conséquences de l’allongement de la vie (Une vie en plus – Editions du Seuil).

Quels apports de la technologie ont changé notre manière de vivre ?


Au cours des 30 dernières années, ce sont surtout des « systèmes technologiques » résultant de la convergence de plusieurs techniques (carte de crédit, monétique, communications mobiles, internet...). Ce ne sont pas les technologies qui changent la société, mais leur réappropriation sociétale.

Dans quels domaines doit-on attendre les plus grandes avancées ? Et de quelle manière ? 


Le 21eme siècle verra la naissance de nouveaux architectes de l’infiniment petit. Le mariage des infotechnologies, des bio, des nano et des écotechnologies est en cours avec un profond impact sur l’homme. La miniaturisation et l’augmentation de la puissance des ordinateurs va se poursuivre. Les débits de transfert des réseaux favoriseront la mutualisation du traitement des informations. La révolution biologique s’accélérera par le recours à la génomique, au clonage et à la transgénèse. La prolongation de la durée de vie grâce à une meilleure connaissance des mécanismes du vieillissement, conduira à des tensions sociales et politiques fortes, comme nous le décrivons dans « Une vie en plus ».
Des biopuces aux nano-implants, une panoplie d’outils nouveaux permettra l’assemblage de microstructures de haute complexité. C’est le défi des nanotechnologies. Enfin les écotechnologies engloberont les problèmes de pollution mais également l’usage de sources d’énergie propres et renouvelables.

Télévision, Internet, téléphone portable, convergence des moyens de communication : sommes-nous au cœur d’une révolution majeure ?


L’internet mobile est une révolution majeure avec la convergence du sans fil, du haut débit et du multimédia. Les terminaux mobiles deviennent des hybrides entre téléphones, ordinateurs et assistants personnels, offrant identification biométrique, reconnaissance et synthèse vocale, géolocalisation et de multiples applications personnelles ou professionnelles :  SMS multimédias, fonctions déportées pour l’entrée et la visualisation de données, tels écrans plats ou bloc-notes en papier numérique.

Quelle est votre vision de l’avenir et de l’intégration de l'humain dans un monde technologique ?


Trois évolutions se chevauchent, avec des durées différentes : le biologique, le technologique et le numérique. Le progrès scientifique et le progrès technologique s’alimentent l’un l’autre. Il en résulte un effet d’amplification. On constate un grave décalage entre développements technologiques et capacité des hommes à les intégrer dans leur vie. La mission d’un grand organisme comme la Cité des Sciences et de l’Industrie est justement d’aider à combler ces décalages.

Quels sont les dangers inhérents à l’adoption des nouvelles technologies ?


Cet emballement nécessite d’accroître notre responsabilité face aux menaces de manipulation de l’homme par l’homme. Ces risques sont amplifiés par la rapidité du marché à s’emparer des nouvelles techniques. Mais les offres mises sur le marché correspondent-elles réellement à des besoins fondamentaux ? Avec les technologies de la communication se profilent également de nouveaux dangers : atteintes à la vie privée, piratages, virus ou spam, surtout la montée de « l’infopollution », un torrent quotidien d’informations impossibles à maîtriser.

Est-on plus heureux grâce à la technologie ?


Je n’ai pas une attitude « optimiste » ou « pessimiste », mais à la fois pragmatique, constructive et responsable La technologie crée souvent un climat anxiogène, d’urgence, de nécessité de maîtrise des outils.

L’homme a t’il atteint une certaine maturité par rapport à la technologie ?


Les grands secteurs scientifiques et techniques ne pourront s'épanouir sans satisfaire de légitimes préoccupations éthiques. Mais la grande question reste celle de l’éducation. Elle doit aborder la transmission des connaissances par la synthèse et non seulement par l’analyse. Il s’agit d’une vision multidisciplinaire et multifonctionnelle de la connaissance. Pour atteindre cette maturité, il nous faudra sans doute moins d’informations et plus de sagesse !