Optimisation de l'usage des voitures

« Economie collaborative et société du partage : l’exemple du covoiturage et de Blablacar, montre l’impact économique, social et environnemental de la mobilité durable et du numérique dans les transports. Merci à Frédéric Mazella, Président fondateur de Blablacar, pour ces statistiques :

D'un côté, le parc automobile :

38 millions de véhicules en France. Coût moyen annuel d'un voiture est d'environ 5 000 € (En considérant la dépréciation, l'essence, les péages, les réparations, l'assurance, l'entretien, etc.). Donc pour entretenir et utiliser notre parc automobile en France nous dépensons 200 milliards € (38 millions x 5 000 €) soit 10% du PIB Français.

D'un autre côté, l'usage d'une voiture :

Selon une étude de McKinsey (Mars 2014 - Are you ready for the resource revolution ?) montre qu'une voiture passe :

96% de son temps garé (donc à l'arrêt)
0,5% de son temps dans les bouchons
0,8% de son temps à chercher une place de parking
2,7 % de son temps à aller d'un point A à un point B (ce pour quoi elle a été conçue en réalité).

Dans ces 2,7%, nous remarquons que 3 fois sur 4, il n'y a qu'une seule personne à bord... le conducteur. En d'autres termes, nous utilisons un quart de 2,7% d'une ressource qui nous coûte 10% du PIB.

Et nous ne parlons pas non plus de l'impact financier des voitures qui occupent entre 9 et 18% de nos aires urbaines et ni de la valeur du temps perdu par nous tous dans les embouteillages... Aucune compagnie de transport ne pourrait se réjouir d'un tel gaspillage massif.

C'est pourquoi BlaBlaCar apporte une solution simple pour optimiser cette ressource, disponible au creux de sa main avec un Smartphone. BlaBlaCar met en relation en effet des conducteurs ayant des places disponibles dans leurs voitures avec des passagers cherchant à faire le même trajet. Et ensemble, ils vont partager un trajet, un moment convivial et bien entendu les coûts associés de la route.

BlaBlaCar optimise simplement et rend plus rationnel l'usage d'une ressource qui coûte 10% du PIB dans les pays dans lesquels il opère. C'est pourquoi BlaBlaCar n’est qu'au début de l'aventure, le potentiel est encore gigantesque. Actuellement, il rassemble plus de 25 millions de membres dans 22 pays.

 

février 26, 2016 dans Actualité | Permalink | Commentaires (0)

"Au delà de l'innovation : la catalyse des écosystèmes disruptifs"

Netexplo Forum 2015 sur netexplo.tv visionner l'intervention de Joël de Rosnay sur le sujet : "Au delà de l'innovation : la catalyse des écosystèmes disruptifs"
Netexplo

Visionner

février 12, 2015 dans Actualité | Permalink | Commentaires (0)

La révolution numérique n’est pas ce que vous croyez… Ou de l’État-nation à l’entreprise-État

Logo

Article paru dans L'Opinion du 25 mars 2014 
Par Véronique Anger-de Friberg et Patrick de Friberg

Révolution numérique, Révolution digitale, des formules passées dans le langage courant. Mais de quoi parlons-nous précisément ? Quels sont les véritables enjeux ? Qui sont les nouveaux maîtres du monde ? Qui sont les gagnants et les perdants ? Et, surtout, quels sont les impacts de cette Révolution sur chacun de nous, sur nos vies privées et professionnelles ? L’Homme du XXe siècle saura-t-il s’adapter à ce changement d’ère que chacun perçoit sans vraiment le comprendre. Une période de l’histoire de l’Humanité fascinante et effrayante à la fois, dont l’accélération brutale fait perdre les repères. Un tourbillon dans lequel semblent se perdre nos esprits trop cartésiens alors que le monde se complexifie.

Nous vivons une Révolution, un « changement de monde » pour reprendre l’expression de Michel Serres. Oui, le monde tel qu’on l’a connu est en train de disparaître pour laisser la place à un nouveau système de pensée, de valeurs, de pratiques, de relations aux autres, de production de richesses, de rapports de forces, de nouveaux pouvoirs.

D’anciens beatniks devenus maîtres du monde
La fin de notre monde, c’est peut-être la fin d’une forme de civilisation, mais ce n’est pas pour autant la fin du monde… si tant est que ceux qui nous gouvernent parviennent à comprendre les défis à relever pour notre pays, qu’ils s’adaptent sans tarder à un mouvement qui ne pourra plus s’arrêter et encore moins faire machine arrière. En dépit de la résistance des États, qui n’apportent comme réponse que réglementations et taxes supplémentaires. En dépit des craintes des citoyens, qui ne perçoivent pas immédiatement les bénéfices de ce changement de monde censé leur offrir de nouvelles opportunités. Des citoyens à qui l’on vante chaque jour le principe shumpeterien de « destruction créatrice » sans savoir quand, faute de formation suffisante, ils pourront enfin profiter des nouveaux emplois promis dans le secteur du numérique et de la e-economy.

 


Comment, dans un contexte où tout est mouvant, tirer son épingle du jeu ? Les grands acteurs de la e-economy imposent leurs règles du jeu sur la scène économique mondiale. Google, Apple, Facebook, Amazon & Microsoft (le fameux GAFAM) nous obligent à revoir notre conception même de l’État et de la démocratie et à repenser notre civilisation sur de nouvelles fondations. Peu d’observateurs semblent en avoir pris la mesure. La plupart d’entre eux ne voient en GAFAM que d’anciens beatniks devenus maîtres du monde… Des libertaires critiqués pour avoir trouvé le moyen d’échapper à l’impôt et aux taxes en toute impunité.

Les multinationales : une espèce en voie de disparition…
Jusqu’à présent, les multinationales se contentaient de pratiquer l’optimisation fiscale et de recruter loin de chez elles une main d’œuvre à bas coûts. Mais aucune n’aurait osé refuser de contribuer financièrement à la richesse de son pays. Avec leur modèle fondé sur le rapport du capital (rente des actionnaires), contrairement au modèle typique d’un GAFAM moins intéressé par les profits que par le pouvoir. D’où des experts déstabilisés quand Facebook perdait de l’argent alors que ses actionnaires ne se souciaient pas de la rentabilité immédiate.
Si les multinationales consentent à respecter un code de bonne conduite en acceptant le principe des redevances financières (impôts, charges sociales…) sur leurs profits dans l’intérêt de la communauté, la conception de GAFAM (sa vision du monde, des rapports de pouvoir, de son rôle sur la scène mondiale…) est toute autre.
Vestige de la colonisation et de la suprématie des pays développés, symbole pour beaucoup du combat entre capitalisme et lutte des classes, incarnation de la compétition effrénée entre les États, les multinationales (depuis la compagnie des Indes aux comptoirs d’Asie en passant par Asthom, Danone, EDF, Renault, Sanofi, Total, Veolia, ArcelorMittal ou Continental) qui, jusqu’à présent, profitaient de la mondialisation économique et financière, voient leur puissance remise en cause par ces nouveaux « joueurs » qui leur disputent leur terrain de jeu en inventant de nouvelles règles, de nouvelles valeurs, de nouvelles façons de penser l’entreprise sans frontière.
On connaissait le lobbying des entreprises sur les États, et la réponse des États qui rappelait à l’ordre en imposant des mesures financières dissuasives, en allant jusqu’à menacer les récalcitrantes de nationalisation. Souvenons-nous du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, évoquant la nationalisation « provisoire » d’ArcelorMittal en 2012.

De la l’état-Nation à l’entreprise-État
Contrairement aux multinationales, qui revendiquent un pays d’appartenance et acceptent de reverser une partie de leurs profits aux États où sont présentes leurs filiales en contrepartie de certains avantages, les entreprises de la e-economy n’ont ni frontières, ni pays d’appartenance et encore moins l’intention de reverser de l’argent aux États. A la différence des multinationales, les entreprises de la e-economy évoluent en marge des États. Et si on traçait les frontières de chacun des membres de GAFAM, on constaterait que ce sont les clients et les employés qui déterminent les frontières ; pas un pays d’appartenance ou la situation géographique des filiales.
Pour la première fois, des entreprises présentes partout dans le monde rejettent le principe d’adhésion à un modèle qui fonctionnait bien jusqu’à présent. Les entreprises de la e-economy refusent de contribuer à l’enrichissement des États, non par culture du profit comme les multinationales-rentières qui délocalisent pour réduire leurs coûts de production, mais pour acquérir toujours plus de pouvoir.
Comme les dirigeants de multinationales, les dirigeants de la e-economy pratiquent l’optimisation fiscale, non pour engranger toujours plus de profits, mais pour réinvestir cette richesse sur des marchés porteurs comme les NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence artificielle et sciences Cognitives) ou le big data notamment.
En refusant de verser un impôt sur les sociétés et des charges sociales, les dirigeants de la e-economy refusent de contribuer au bien commun en finançant les services publics d’éducation, de protection sociale et de santé, de justice, de sécurité, de transports… Ils préfèrent investir dans leurs propres modèles et décider eux-mêmes de la façon de répartir les richesses.
Ainsi, en créant leur propre modèle de mutuelle santé privée, de crêches, de formation, de sécurité contre les cyber attaques et autres, de retraite, etc. ils inventent leur propre organisation tout en s’affranchissant des États. Sur l’impulsion de leurs dirigeants, les employés de GAFAM se considèrent d’ailleurs comme appartenant à un même groupe, une même organisation, partageant les mêmes valeurs, les mêmes pratiques, la même culture, le même langagegeek, la même philosophie, une certaine vision du monde pourrait-on dire.
Le management à la Google, souvent cité en exemple, fait rêver les jeunes générations qui arrivent sur le marché de l’emploi. Un management faussement « cool » et un environnement de travail en apparence idyllique où chacun semble s’épanouir en tenue décontractée dans un contexte empathique avec salles de sport et installations high tech en contrepartie d’un travail acharné et d’une adhésion presque sectaire aux règles internes de l’organisation. Une révolution, aux relents libertaires, mais gare à celui qui oserait dévier du discours officiel ou dénoncer des dysfonctionnements. Il serait immédiatement banni, comme cela a pu se produire chez Amazon par exemple.

Vers une nouvelle guerre froide ?
Une organisation qui ressemble à un État. Un État hors des États. Comme on l’a vu, l’entreprise-Étatsouveraine, affranchie des États-nations, s’organise autour de ses propres modèles et décide de l’affectation de ses budgets, non pas pour participer à la « chose publique » (comme dans la res publica, la République que l’on connaît en France par exemple) mais pour s’assurer des monopoles dans les secteurs les plus en pointe et les plus créateurs de richesses.
Pour ne citer que l’exemple de Google (qui est bien plus qu’un simple moteur de recherche) la société investit depuis 2013 dans la robotique et l’intelligence artificielle (avec Boston Dynamics), les neurosciences et les nanotechnologies (avec Google X Lab), la santé (décodage génétique, longévité et aussi le « transhumanisme » avec le projet Calico pour améliorer les performances du corps humain), l’énergie (avec Google Energy), le big data qui permet la collecte et le traitement d’informations de masse (analyses d’opinions, observateur de tendances, prévention de la criminalité, sécurité…).
Face à ces géants de l’e-economy, les États actuels ne font déjà plus le poids. Non pas à cause de la valeur en capitalisation ou du CA réalisé par ces entreprises, mais à cause des informations auxquelles GAFAM donne accès. Google est installé sur tous les ordinateurs du monde, Facebook compte plus de 750 millions d’utilisateurs actifs chaque jour dans 39 pays. Il est amusant de se souvenir que beaucoup annonçaient régulièrement la fin de Facebook ou d’Apple il  n’y a pas si longtemps encore. Jusqu’à ce que le monde comprenne que leur modèle est non seulement intelligent parce qu’il leur donne le pouvir, mais également très rentable.
En 2013, Apple a dépassé Exxon Mobil en termes de capitalisation. L’ex-plus grande capitalisation mondiale (438 milliards) se fait coiffer au poteau par une entreprise de la e-economy ! Aujourd’hui, la capitalisation de Google est évaluée à 413 milliards de dollars (avec un chiffre d’affaires 2013 de 60 milliards de dollars). Celle d’Apple à 500 milliards de dollars (avec un CA de 58 milliards de dollars). FaceBook atteint les 130 milliards dollars (avec un CA de 8 milliards de dollars), Amazon 6 milliards (avec un CA de 17 milliards de dollars) et Microsoft 260 milliards de dollars (avec un CA: 78 milliards de dollars). Une puissance financière cumulée de 1311 milliards de dollars ! L’équivalent du budget de l’État français pour un an.
Certes, séparément, GAFAM n’a pas encore dépassé les Big 5 de l’industrie américaine (Exxon mobile, WallMart, Chevron corporation, Conoco et General Motors) mais preuve est faite que le vieux monde disparaît pour laisser la place au nouveau monde. Des startups de la net economy, qui n’existaient pas il y a quelques décennies, évoluent désormais dans la cour des Grands, propulsées aux côtés de 3 sociétés énergétiques, un grand de l’automobile et un géant de la grande distribution. Dans le futur, on peut imaginer une guerre plus idéologique qu’industrielle entre ces leaders de l’industrie, qui ont toujours réussi à s’adapter aux changements (en 2007, General Motors était moribond) et les maîtres de la e-economy. Les velléités d’alliance entre Apple et Tesla Motors (véhicules électriques haut de gamme) ou toute autre joint-venture susceptible de décupler la puissance de GAFAM oblige les grands groupes traditionnels à se poser la question de leur avenir. Pour survivre, les multinationales pourraient choisir d’adopter le modèle de GAFAM et, à leur tour, s’affranchir des États et s’enrichir plus encore…
Et que se passerait-il si GAFAM décidait de créer une coalition et envisageait une cyber guerre contre les États ou des concurrents gênants ? A eux tous, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft peuvent prendre la main sur la totalité ou presque des ordinateurs de la planète. Parallèlement à cette force de coalition, que pèseraient un État ou une grande industrie concurrente ?


La querelle des Anciens et des Modernes
Les entreprises, petites et grosses, qui n’ont pas encore compris que le modèle a déjà changé risquent de disparaître. Une espèce remplace tout simplement une autre espèce dans un système darwinien… La France va-t-elle réussir à trouver sa place dans la e-economy, face à des entreprises-États de plus en plus puissantes, qui fait rêver nos « meilleurs cerveaux », diversifient leurs activités dans des secteurs de pointe qui leur assureront bientôt des moyens et un pouvoir décuplés ?
Des entreprises-États qui pourraient, grâce à leur trésorerie acheter 83% des brevets déposés dans le monde chaque année. Des entreprises-États qui refusent le système, mais créent leur propre système : un État en marge de l’État. Des entreprises-États plus riches que les États, qui décident comme elles l’entendent de la redistribution des richesses, mais refusent de payer pour ceux qui n’appartiennent pas à leur organisation.
Les Anciens, c’est-à-dire le monde d’avant (les États et le système économique traditionnels) vont-ils entrer en guerre contre les Modernes (les entreprises-États affranchies des États) ? Ce serait absurde en une guerre perdue d’avance. Quand les États n'ont plus le pouvoir d'imposer leur modèle (sécurité, santé, éducation, énergie, etc.) comme c’est le cas aujourd'hui, d'autres modèles émergent portés par GAFAM et d’autres, puisque de nombreuses petites startups copient le modèle GAFAM aujourd’hui.
Ce n'est que le début, et c’est la faillite des États qui a conduit à cette situation, en même temps que les nouveaux outils numériques permettaient d'inventer une nouvelle économie et une nouvelle conception du monde.

Game over !
Les États ne sont déjà plus capables de faire rentrer l’impôt, et de plus en plus d’activités échappent au contrôle des États qui ne pourront pas résister longtemps en légiférant pour essayer d’endiguer le mouvement et tenter de retrouver une puissance passée qui ne reviendra plus. En tous les cas sous la forme que l’on a connue. Game over ! Que cela nous plaise ou non, on a déjà basculé dans une nouvelle ère.
GAFAM n’est que la partie émergée de l’iceberg, de cette Révolution qui se déroule en ce moment sous nos yeux. Pourtant, bien peu d’experts comprennent ce qui est en train de se passer. Et tous ceux qui théorisent sur le nouveau Monde en se référant à un système de pensée qui remonte aux années 1970 sont dépassés par le phénomène. C’est le cas de nos politiques et de nombreux pseudo spécialistes de la question, qui se limitent souvent à critiquer GAFAM et leurs méthodes sectaires ou antisociales.

Si nos élites politiques et économiques n’y comprennent pas grand chose, et que le peuple subit cette Révolution digne de la révolution industrielle de plein fouet, c’est parce qu’on ne peut plus penser le monde de façon binaire, comme on l'analysait aux temps de la lutte des classes et de la guerre froide. La question n’est pas de savoir comment nous allons retarder l’inéluctable, mais comment allons-nous nous adapter pour prendre le train de cette Révolution en marche pour le meilleur… et sans le pire ? Le débat est ouvert et se poursuivra toute la journée du 5 juin dans le cadre du 2ème Forum Changer d’Ère, qui se tiendra à la Cité des Sciences et de l’Industrie.

Véronique Anger-de Friberg est la présidente fondatrice du Forum Changer d’Ère, organisé par "Les Di@logues Stratégiques", qui se déroulera le 5 juin prochain à la Cité des Sciences & de La Villette (Paris).
Patrick de Friberg est écrivain, spécialiste de la guerre froide.

mars 26, 2014 dans Actualité | Permalink | Commentaires (0)

L’ADN d’Internet est-il modifiable de l’intérieur ?

Internet et la biologie se marient. Ce que j'avais appelé "la biotique" en 1982 s'applique à "l'ADN d'Internet". L'expression de cet ADN peut peut être modulée par un phénomène analogue à celui de l'épigénétique pour les organismes vivants. Une nouvelle discipline est sans doute en train de naître : l'épigénéTICs (par référence aux TICs) ou plus généralement la "diginétique" qui considère l'ensemble des manipulations de l'ADN d'internet par les internautes, les entreprises ou les gouvernements. Des effets déterminants pour l'évolution de nos sociétés dans la civilisation du numérique.

Article de Joël de Rosnay publié dans le Echos.fr le 2/11/12
version imprimable 
Les echos

ADN : Aujourd’hui passées dans le langage courant, ces trois lettres ne désignent plus seulement le programme héréditaire des organismes vivants.

On parle de l’ADN d’une entreprise, d’un organisme public, ou même de l’ADN d’un Etat, pour décrire le patrimoine accumulé, la culture, les programmes nécessaires pour faire fonctionner une organisation, le réservoir de mutations favorisant l’innovation et le développement. Dans cette logique, il est naturel d’imaginer que l’écosystème informationnel que représente Internet, possède également son ADN dont la forme s’est complexifiée par suite des interventions individuelles et massives des internautes. On peut se représenter un ADN constitué de bits et d’octets, mais aussi de liens et de sites web, de routeurs et de hubs.

L’analogie entre le « cerveau planétaire » d’Internet et le cerveau humain, dans son évolution, sa structuration, son fonctionnement a été faite par plusieurs auteurs au cours des 30 dernières années , mais c’est la première fois qu’un Institut de recherche, le Global Brain Institute, consacre l’ensemble de ses missions et de ses programmes à des recherches internationales sur l’intelligence répartie émergeant d’un réseau planétaire de personnes et de machines. C’est à l’occasion d’un séminaire rassemblant le 7 décembre à Bruxelles des chercheurs de plusieurs pays - informaticiens, sociologiques, neurobiologistes -, que je proposerai la thèse d’une « épigénétique d’Internet ».

L’épigénétique appliquée à l’ADN d’Internet

L’objet de cet article est de tenter de répondre à cette question: l’ADN d’Internet est-il modifiable de l’intérieur ? Ou existe-t-il une épigénétique d’Internet ? En d’autres termes, est-il possible que les internautes ou les entreprises (séparément ou ensemble) réussissent à imposer une multi gouvernance d’Internet ? On pourrait ainsi parler d'épigénétique par inhibition de certains comportements et désinhibition d'autres, ou encore de changements d'organisation pour mettre en valeur certaines caractéristiques au dépend d'autres. Il y a aussi les phénomènes de flux renforçant certaines voies, ce que Freud appelait « frayage » et qu'il comparait à un fleuve creusant son lit, mais qu'on peut mettre sur le compte d'une habituation. 

Faut-il voir, par exemple, dans l’émergence de cette force nouvelle, baptisée GAFA (Google/Apple/Facebook/Amazon) la montée en puissance de nouveaux maîtres du réseau mondial ? L’influence de ces entreprises sur Internet paraît illimitée et, de ce fait, pose problème. Mais, en réalité, quel est l’impact réel de GAFA sur l’ADN d’Internet ? Ces grandes firmes en situation de monopole sont-elles la preuve de la mise en pratique d’une forme de « manipulation génétique » globale susceptible de modifier le génome d’Internet à des fins mercantiles ou d’exercice non partagé du pouvoir ?  

 

Le processus de mutation génétique et de sélection naturelle, tel que défini par Darwin et accepté par la grande majorité des généticiens et des biologistes du monde entier, est-il transposable à Internet ? Dans ce contexte, l’ADN, par suite de mutations et de sélections, ne peut se modifier structurellement que sur de très longues durées, même si dans une espèce, des mutations peuvent intervenir de manière rapide et successive. Mais il existe une autre forme de modification du rôle de l’ADN : la modulation de l’expression des gènes par l’épigénétique. Qu’est-ce que l’épigénétique ? Imaginons, pour l’illustrer, que l’ADN soit comparable à une portée de notes de musique. À partir de ces notes il est possible d’interpréter une harmonieuse symphonie. Sa qualité et son succès dépendront du talent du chef d’orchestre et des musiciens. Les effets de l’épigénétique sont analogues à cette symphonie, jouée à partir d’une succession de notes et de signes musicaux.

Cette importante découverte, présentée dans des livres récents , s’appuie principalement sur l’observation suivante : le comportement humain (et animal en général) peut moduler l’expression des gènes. En effet, ce comportement (alimentation, exercice, management du stress, relations sociales, réseaux social et familial, plaisir…), conduit à la production dans les cellules d’un certain nombre d’activateurs ou d’inhibiteurs, jouant le rôle d’interrupteurs chimiques qui vont éteindre, allumer, augmenter ou diminuer l’expression de certains gènes. Un processus fondamental dans la prévention de maladies, le maintien d’une bonne santé, le ralentissement du vieillissement. L’épigénétique va jouer un rôle d’importance croissante dans le management de la santé, et l’industrie pharmaceutique, qui ne s’y est pas trompée, s’y intéresse de plus en plus.

Internet, un cerveau planétaire fluide

Le cerveau humain est un des éléments de l’épigénétique : l’expression des gènes peut être modifiée par notre état psychologique, notre façon de réagir face à la maladie, notre relation aux autres, l’utilisation de placebo ou de nocebo, de pratiques millénaires telles que la méditation ou le yoga… La neuro-psycho-immunologie, montre à quel point le système hormonal, le système nerveux et le système immunitaire sont interconnectés en permanence, permettant de contrôler et de réguler la consommation d’énergie, l’humeur, la motivation, l’instinct sexuel, la volonté d’agir ou de ne pas agir.

Internet « cerveau planétaire » est connecté à un grand corps social, à un écosystème lui-même pourvu de son métabolisme propre et susceptible d’influencer Internet en retour,  par coévolution. Ce cerveau planétaire pourrait-il conduire à la modification de l’ADN d’Internet en affectant les aspects scientifique, technique, culturel, politique et économique de cet immense écosystème informationnel ? Si oui, qui agit, comment, et avec quels moyens d’amplification ?

Pour être en mesure répondre à cette interrogation, il convient de revenir à la notion du « cerveau fluide ». Le neuropsychologue canadien Donald Hebb et le biologiste et philosophe français d’origine chilienne Francisco Varela, notamment, ont démontré que le cerveau ne correspondait pas au modèle traditionnel proposé par les neurobiologistes et qu’il n’était pas  non plus comparable à un ordinateur numérique fonctionnant en langage binaire (avec des bits de zéro et de un). Il se reconfigure en permanence en fonction de sa communication avec le monde extérieur et avec  son propre écosystème interne : réseaux, organes, tissus et cellules. Le corps humain pourrait, lui aussi, être considéré comme « fluide » puisqu’il peut s’adapter, se mobiliser grâce aux effets de l’épigénétique. Le cerveau est une machine chimique intégrée au corps et ne joue pas seulement un rôle hiérarchique qui commanderait le corps. Par exemple, des neurones possèdent des récepteurs d’hormones gastriques, tout comme l’intestin comporte cent millions de neurones. Un « cerveau abdominal » (ou entérique) qui influence notre comportement et notre santé. Tous les réseaux du corps sont en intercommunication étroite. Il en va de même pour les multiples réseaux d’Internet.

En juillet 2001, dans un article présenté au Global Brain Group , je décrivais la stabilisation de certaines propriétés d’Internet résultant du fonctionnement global du système et des actions des internautes. Par exemple, un nouveau programme lancé et testé par des bêtatesteurs verra son utilisation amplifiée ou, au contraire, réduite selon l’intérêt et l’efficacité que lui attribuent les internautes. On pourrait parler de stabilisation sélective des synapses d’Internet, comme dans le processus décrit en 1973 pour l’évolution du cerveau par le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux et les biologistes Philippe Courrège et Antoine Danchin .

Si on évoque l’isomorphisme entre le cerveau et Internet, il ne faut pas oublier de citer les deux formes de communication se déroulant à l’intérieur du cerveau et dans le système nerveux : La communication de neurone à neurone, comparable à un système câblé de télécommunications passant par exemple par la fibre optique. Et la communication d’astrocytes en astrocytes (les cellules gliales du système nerveux) qui ressemble plutôt au téléphone cellulaire GSM. L’information, au lieu de se propager le long de fils ou de câbles, saute en quelque sorte de hub en hub. Serait-ce la base de l’intuition qui, en parallèle, explore plusieurs solutions ou mémorisations pour trouver une voie vers la solution de problèmes ? Ce type de processus pourrait-t-il être à l’œuvre dans l’écosystème Internet ? On considère en effet un web intuitif, tel que proposé par Tim Berner Lee, l’inventeur du Web , et qu’il considère comme la prochaine étape de l’évolution d’Internet.

GAFA, nouveaux maîtres du monde ?

N’oublions pas qu’Internet est connecté à des réseaux de communication globaux et ramifiés, qui constituent le « corps » de la société (usines, réseaux d’échanges énergétiques ou financier, produits manufacturés, services immatériels...). Au sein de ce corps vivant, il existe un anabolisme de construction et un catabolisme de destruction ou de recyclage. En d’autres termes, l’organisme ou l’organisation sont soumis à certaines réactions qui peuvent avoir des effets sur le métabolisme du corps humain ou (du corps) de la société ou de l’organisation. Nos sociétés se montrent de plus en plus soucieuses de réguler ce métabolisme de l’énergie pour limiter les déchets et les rejets de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, accusés de contribuer au réchauffement climatique.

On peut ainsi déployer une sorte « d’Internet de l’énergie », une Smart Grid ou grille intelligente de distribution de l’électricité. Il s’agit de mixer les énergies, en particulier renouvelables, afin qu’elles puissent être distribuées ou stockées de manière décentralisée par la Smart Grid. On se dirige ainsi vers une forme d’énergie en peer-to-peer (P2P), ouvrant la voie à une véritable démocratie énergétique. Le métabolisme sociétal et écosystémique est régulé par les êtres humains, mais aussi -et surtout- par des ordinateurs reliés à Internet dans un nuage ubiquitaire : le Cloud. Force est de constater l’influence grandissante de l’écosystème Internet dans le métabolisme du corps vivant, constitué par l’ensemble des populations et des structures qui l’ont construit pour survivre et se développer, en particulier les villes.

Mais un réel danger menace l’avenir d’Internet et, à travers lui, des citoyens de la civilisation du numérique. Les forces en présence (entreprises, grands lobbies,- tels que industries financière, pharmaceutique, agroalimentaire, de l’armement, des drogues, de l’énergie- méga-organisations, États…) tentent d’accaparer les ressources et le pouvoir au sein de cet écosystème et cherchent à détourner ses propriétés pour désinformer, agir sur l’information elle-même, manipuler les cours de la bourse et le monde financier ou encore mettre en difficulté des entreprises concurrentes ou identifiées comme « politiquement incorrectes », voire en mobilisant des hackers pour pénétrer et espionner des cibles stratégiques.

GAFA exerce un contrôle invisible, mais bien réel et de plus en plus oppressant et inquiétant, sur les actions de la vie quotidienne, privée ou professionnelle des internautes. Le monde politique participe, lui aussi, à ce jeu parfois inconscient de la modification des gènes d’Internet. Qu’il s’agisse de contrôler le modèle traditionnel des droits d’auteur et l’échange de musique, de vidéo ou de texte sur Internet ou d’entretenir des relations incestueuses avec des lobbies qui garantissent un soutien intéressé, Est-il donc possible de modifier profondément l’ADN d’Internet, d’exercer un contrôle multifonctionnel et multidimensionnel, bref, de prendre le pouvoir ? Comme pour l’organisme vivant, une épigénétique d’Internet pourrait-elle assurer un co-contrôle, une co-régulation par les « utilisateurs neurones » d’Internet ? Et ces modifications épigénétiques, découlant du comportement des internautes, pourraient-elles avoir des effets positifs pour la démocratie, les libertés humaines et l’avenir de l’humanité ?

La co-révolution de la société fluide et du partage, que je décris dans mon dernier essai  montre que le partage et la coordination peuvent conduire à des mouvements massifs sur Internet. Les actions précédées par “crowd” en anglais (crowd sourcing, crowd financing…) sont la preuve que l’intelligence intuitive d’Internet peut résoudre des problèmes complexes, que la capacité de financement collective peut favoriser le lancement de nouvelles entreprises, que les tableaux de bord de santé personnalisés, grâce aux smartphones et donc à Internet, peuvent bouleverser des industries bien établies comme l’industrie pharmaceutique ou agroalimentaire. On voit apparaitre des prosumer (mot anglais formé à partir de producer et consumer : producteur et de consommateur) qui sont en train de « désintermédier » les organisations pyramidales qui contrôlent aujourd’hui notre vie, c’est-à-dire celles de l’énergie, mais aussi de la banque, de l’assurance, du tourisme, de l’éducation...

On pourrait donc, de l’intérieur, modifier ou faire modifier des règles et des lois. Changer ce que le biologiste britannique Richard Dawkins appelle, non pas les gènes sociaux, mais les memes ou ADN sociétal . En tout cas, ce qui change "l'épigénétique" sociétale, ce sont bien des dispositifs matériels, des circuits de distribution, l'infrastructure (dont Internet fait partie), déterminant la superstructure. Internet produit des monopoles naturels, dont on ne peut guère se passer mais, on ne peut espérer remplacer les systèmes hiérarchiques par des co-productions en P2P ou des co-régulations. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre. Je ne pense pas qu'on puisse en faire une alternative complète aux GAFA comme à toute centralisation, mais plutôt un complément ou la contrepartie, faisant une part grandissante à la gratuité coopérative et à la désintermédiation dans une économie plurielle.

Des rapports de force aux rapports de flux

Comment modifier de l’intérieur l’ADN d’Internet ? La question est, en effet, fondamentale pour l’avenir de notre société et de l’humanité. Les réseaux sociaux, animés par les générations nées avec Internet, pèsent déjà de tout leur poids et font sentir leur pouvoir lorsqu’ils remettent en cause les régimes des pays totalitaires ou les modèle économiques et sociaux des pays démocratiques. Les mouvements les Indignés, Occupy Wall Street, le Printemps arabe et le Printemps érable… ont prouvé leur efficacité et affiché leur détermination. Une utilisation intelligente des réseaux sociaux et de la télévision alliée aux cyberactivistes et manifestants de rue, aura contribué à faire plier les régimes les moins permissifs. Et que dire des actions subversives de WikiLeaks, du collectif Anonymous, des Pirates ou encore du mouvement anti Poutine des Pussy Riot, indiquant une pression du bas vers le haut : l’expression populaire massive catalysée par Internet ?

La question demeure : ces mouvements conduisent-ils à modifier de manière épigénétique l’ADN d’Internet ? La réponse est vraisemblablement oui, car des millions d’internautes vont modifier leurs actions, leurs créations, leurs liens, leurs enregistrements, leurs contacts, leurs amis ou leur blog… selon leur appréciation personnelle de ces différents mouvements. Comme pour l’ADN d’une entreprise ou celui d’un Etat. Un important travail de recherche doit être entrepris pour confirmer ou infirmer la modification épigénétique de l’ADN d’Internet. Ou plus généralement sur ce que j’appelle la « diginétique » ou l’épigénéTICs (par référence aux TICs). C’est d’ailleurs l’un des objectifs du Global Brain Institute que de tirer des enseignements de l’étude de l’isomorphisme entre cerveau humain et cerveau planétaire. Mais Internet peut aussi échapper à ces scientifiques…Le nombre de « maladies » d’Internet s’accroît : schizophrénie, paranoïa, mégalomanie ou dépression. Pour traiter ces maladies psycho-technico sociétales, voire guérir Internet de l’intérieur, il existe des remèdes planétaires. Mais qui décidera de leur administration et de la posologie ? Peut-il exister un management global du cerveau planétaire, une gouvernance mondiale ? Pour ma part, je crois davantage à une co-régulation citoyenne par des femmes et des hommes informés, qui agiraient par feed-back citoyen en renvoyant l’information vers des centres décisionnels exerçant une forme de pouvoir transversal. C’est le cas dans la société fluide, modèle que je propose et décris dans Surfer la vie.

Il est clair que la technologie ne suffira pas pour modifier l’ADN d’Internet de l’intérieur, ni pour guérir ses maladies. Pour assurer la bonne santé d’Internet, il faudra partager des valeurs qui engendrent la solidarité, l’échange, le partage, le respect mutuel dans la construction du monde de demain. Un monde, souhaitons-le, plus empathique et moins compétitif. Passons des rapports de force aux rapports de flux, des valeurs guerrières aux valeurs solidaires. A l’exercice solitaire du pouvoir électif, préférons la pratique solidaire de l’intelligence collective.

 

novembre 3, 2012 dans Actualité | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack