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Internet, dix ans de révolution |
Chat avec Joël de Rosnay, Le Monde.
Guigui : Qu'est-ce que le pronétariat ?
Joël de Rosnay : J'ai
créé ce terme par référence au célèbre prolétariat. J'ai construit ce
mot à partir du Net, les pronétaires étant ceux qui sont pour et sur le
Net. J'ai voulu ainsi montrer la montée de ce que j'appelle les médias
des masses, qui s'opposent aujourd'hui aux mass media. Il y a aura
certainement une complémentarité entre les deux dans l'avenir, mais
aujourd'hui, deux modèles économiques s'affrontent. La création de ce
terme et sa signification exacte sont décrites sur le blog du livre : www.pronetariat.com.
Christian_Pradel : Le champs des
connaissances culturelles sera abordable pour tout et à chacun. Mais
comment dans ce dédale de productions, acquérir le discernement
permettant de mesurer toute cette étendue de savoir et ne pas tomber
dans la dilution du savoir, voire la démesure ?
Joël de Rosnay : Le
risque, effectivement, est une sorte d'info-pollution. Trop de mails à
lire, trop de blogs, trop de sites web intéressants, à quoi il faut
ajouter le spam, les messages téléphoniques, les sms... Et la culture
dans tout ça ? D'où l'importance de ce que j'ai appelé précédemment une
"diététique de l'information". Face à la pléthore alimentaire, en tout
cas dans les pays riches, on doit se modérer et pratiquer la diététique
pour rester en bonne santé. Il me semble en être de même pour notre
santé mentale. Nous devons pratiquer la diététique de l'information. Et
pour cela, connaître les méthodes, les filtres, les moyens d'acquérir
des connaissances en donnant du sens à sa vie personnelle et
professionnelle. C'est une pratique essentielle pour survivre à la
société de l'information et à la civilisation du tout-numérique.
"DE LA GESTION DE LA RARETÉ, À LA GESTION DE L'ABONDANCE INFORMATIONNELLE"
Bj : Quelles sont les caractéristiques de ces deux modèles économiques ?
Joël de Rosnay :
Depuis 50 ans, nous vivons sous la pression des mass media : l'image
avec la télévision, le son avec la radio, le texte avec l'édition et
les journaux, les téléphones avec les opérateurs, la publicité massive
un peu partout. Les modèles économiques des mass media se réfèrent à
ceux de la société de l'énergie et des matières premières, c'est-à-dire
l'économie d'échelle pour une production de masse, des réseaux de
distribution massifs et des consommateurs inconnus qui partent avec
leurs produits et qu'on ne peut plus suivre.
En revanche, les
médias des masses, qui s'appuient sur les blogs, le téléphone gratuit
de type Skype, les wikis, le podcasting, les journaux citoyens,
s'appuient sur un modèle économique qui n'est plus celui de la gestion
de la rareté, mais de la gestion de l'abondance informationnelle
typique de la société de l'information par rapport à celle de
l'énergie. Ces nouveaux modèles économiques se fondent sur l'équation
suivante : flux plus buzz = bizz (business !). Il s'agit d'attirer des
internautes sur des sites gratuits et "fun". Cette foule crée des
opportunités de personnalisation des services, selon le principe qu'il
vaut mieux vendre 10 centimes d'euro un service à 10 millions de
personnes que 100 euros à 1 000 personnes, avec d'importants frais de
marketing et des investissements logistiques. Cette personnalisation
crée des consommateurs capables de faire le marketing et la publicité
des services ainsi produits. C'est le buzz. Ainsi s'amorce un cercle
vertueux qui permet aux producteurs de médias de masse d'équilibrer
leurs charges et parfois d'engranger des revenus.
Christian_Pradel
: D'après les données à votre disposition, est-ce vrai qu'il y a une
montée très rapide de l'investissement économique publicitaire visant
les Blogs, Wiki, .... ?
Joël de Rosnay : On
s'aperçoit aujourd'hui qu'une partie très importante du budget
publicitaire des grands annonceurs commence à s'orienter vers ce que
l'on appelle la "nanopublicité", c'est-à-dire des messages
promotionnels dans des niches utilisées par les pronétaires sur les
différents supports les plus répandus. Par exemple sur les blogs,
certains grands annonceurs internationaux ont déjà compris qu'ils
représentaient un support publicitaire intéressant. Par ailleurs, les
journaux citoyens ou plutôt, comme je préfère les appeler, les médias
du journalisme collaboratif, fonctionnent souvent sur la base de
messages publicitaires. C'est le cas d'agoravox.com,
journal collaboratif que j'ai lancé avec Carlo Revelli en mai 2005 et
qui compte aujourd'hui 300 000 lecteurs par mois, 15 à 20 000 par jour
selon les articles, et qui reversera une partie importante de ses revenus
publicitaires aux rédacteurs et aux blogueurs habituels du journal.
Emilie81 : Comment pratiquer la diététique de l'information ?
Joël de Rosnay : Pour pratiquer la diététique de l'information, voici quelques règles simples qui reposent surtout sur la gestion de son temps.
1) connaître et sélectionner les bonnes sources d'information ;
2) savoir utiliser les moteurs de recherche les plus performants et
surtout, les dossiers qu'ils proposent en plus des sites référencés par
un seul mot-clé ;
3) savoir stocker sur son disque dur les
informations utiles ultérieurement pour les comparer avec d'autres,
s'en servir dans un article, un rapport, etc. Pour cela, utiliser sur
son ordinateur des moteurs de recherche comme google.desktop (gratuit) ;
4) avoir un réseau d'informateurs et d'amis, soit par email, soit sur
Skype, qui permet très vite de comparer les informations et de les
rendre pertinentes ;
5) toujours contextualiser les informations que l'on reçoit pour les enrichir, les confirmer ou les mettre en seconde position.
Avec ces cinq règles, il devient possible de rendre l'information
pertinente, mais n'oublions pas qu'elle ne le sera qu'en fonction des
objectifs qu'on s'est fixés pour acquérir ces informations.
"LES GRANDS MÉDIAS MENACÉS"
Nicoo : Diriez-vous que les grands medias, comme les grandes chaînes de télévision par exemple, sont ou vont être menacés ?
Joël de Rosnay :
Je pense effectivement que les grands médias traditionnels, les cinq
que j'ai cités précédemment, sont menacés, mais contrairement à
certains qui ont des positions extrêmes, je pense évidemment qu'ils ne
disparaîtront pas. Dans un premier temps, ils critiquent - et on les
comprend - les blogs, les "journaux citoyens", la télévision pronétaire
en p2p, des encyclopédies collaboratives ou les émissions de radio en
podcasting. Ils se réfugient sur leur modèle économique de gestion de
la rareté, et même, pour certains, créent la rareté pour forcer les
utilisateurs à passer par leur vecteur de diffusion et de distribution.
Ceux-là vont connaître des problèmes dans les années à venir.
En revanche, tous les grands des mass media qui ont compris
l'importance de la montée pronétarienne des médias de masse et qui les
associent à leur production et diffusion d'information et de contenus
sous toutes leurs formes sortiront gagnants de cette complémentarité.
C'est déjà le cas de grands journaux français, "Le Monde" et "Libé", ou
de journaux économiques outre-Atlantique comme "Business Week", qui ont
compris qu'une part originale de leurs informations peut venir de
blogueurs ou de pronétaires munis de photophone ou de caméra numérique
capables de réaliser des reportages de qualité sur le terrain.
Toby
: Pascal Lamy a récemment fait une interview-podcast dans laquelle il
indique qu'il fera en sorte que l'OMC qu'il préside soit plus présente,
plus "communiquante" sur le web et dans la blogosphère pour communiquer
avec cette opinion publique mondiale qui a une mauvaise image de l'OMC.
Est-ce la réponse de l'establishment au pronétariat des "alter" ?
Joël de Rosnay :
Cela me paraît être une bonne initiative. Pour la rendre encore plus
crédible, il faudrait une collaboration plus étroite avec des ONG
altermondialistes qui connaissent parfaitement les outils pronétaires
et qui pourraient apporter un complément indispensable à la mise en
oeuvre d'un tel projet.
Peyu : Pensez-vous que grâce à la
technologie les citoyens pourront intervenir de plus en plus dans la
gestion de leur ville, pays.. ?
Joël de Rosnay : Ne
l'oublions pas, la technologie ne résout pas les grands problèmes de la
société. Ce qui peut éventuellement contribuer à trouver des voies,
c'est la réappropriation sociétale des technologies par les citoyens en
fonction de leurs besoins, de leurs désirs, de leurs souhaits, voire,
parfois, de leurs fantasmes. C'est donc dans ce contexte de
réappropriation sociétale que des citoyens d'une ville, des citoyens
d'un pays, des pronétaires du monde peuvent contribuer à la gestion
politique, économique et sociale de leur territoire, de leur éducation,
de leur culture, de leur communication en général.
Le réseau
Internet, ses blogs, ses émissions de télévision citoyennes, ses
émissions de radio, et surtout ses débats, conférences de consensus,
s'ouvrent à ce que j'appellerai une nouvelle forme de démocratie
participative, et même, il faut l'espérer, à une co-régulation
citoyenne. En effet, les internautes en général, et les pronétaires ne
font plus confiance à l'information ou aux réglementations
descendantes, du haut vers le bas (top-down) de la pyramide. Ils ne
sont pas encore suffisamment mûrs, informés, et solidaires, pour
participer à une régulation des réseaux du bas vers le haut de la
pyramide (bottom-up). C'est pourquoi la voie la plus efficace de
l'utilisation de ces technologies relationnelles pourrait se faire dans
le cadre de cette co-régulation citoyenne. Les grands principes étant
édictés par les gouvernements et les experts, tandis que la
participation de terrain serait faite de manière collaborative par les
usagers.
Harelphilippe&aol.com : La propriété intellectuelle n'est-elle pas en danger ?
Yoyo : Êtes vous pour le DADVSI, le projet de loi ?
Joël de Rosnay :
La propriété intellectuelle paraît en danger dans le cadre de l'ancien
modèle économique s'appuyant sur la gestion de la rareté telle que je
l'ai décrite dans une réponse précédente. La société de l'information
conduit à une gestion de l'abondance informationnelle. On n'est plus
dans un cadre malthusien, mais dans un effet de synergie. Dans une
logique d'amplification autocatalytique de l'information par
l'information. C'est dans cette optique qu'il faut considérer l'intérêt
des auteurs à faire connaître leurs oeuvres, même par des moyens
promotionnels permettant d'accéder à des extraits, voire à la totalité
d'oeuvres textuelles, musicales ou audiovisuelles sur une base de
gratuité, pour créer du flux, des débats, des discussions, et
évidemment, du bouche-à-oreille qui les fera mieux connaître et se
répercutera dans des retombées financières indirectes correspondant à
la commercialisation traditionnelle d'oeuvres sous droits d'auteur.
Il faut donc comprendre que la vision dichotomique et la logique
d'exclusion qui sont souvent mises en avant dans ce genre de débat ne
correspondent plus à la complexité du problème posé par la propriété
intellectuelle dans la société du numérique. D'où la nécessité de
présenter une palette de mesures et des moyens d'accompagnement qui
permettent de créer des effets de synergie pour assurer aux auteurs des
rémunérations justifiées, mais permettre en même temps à tous les
pronétaires utilisateurs d'Internet d'avoir accès à des oeuvres
textuelles, musicales ou audiovisuelles
sur une base de très faible
rémunération, voire de gratuité, qui, amplifiée par des millions de
connexions et de regards croisés, créera une base susceptible de
changer radicalement les modèles économiques traditionnels. En résumé,
entre la sanction (ce sont tous des pirates) et la licence globale (il
n'y en aura jamais assez pour les auteurs), il est indispensable
d'inventer, de manière collaborative la plus large possible entre
auteurs, industriels, politiques et surtout pronétaires, les nouveaux
modèles économiques correspondant à la civilisation numérique de demain.
Christing : Et la vie privée, que devient-elle avec tous les espaces d'échange et de partage sur le Web ?
Joël de Rosnay : Ce
que l'on appelle la "vie privée" sera de plus en plus menacée :
traçabilité des usagers par leur téléphone portable, géolocalisation
des transactions, analyses par cartes de crédit des différents
paiements, cookies et logiciels spécialisés permettant de suivre les
internautes à la trace, puces électroniques ou étiquettes intelligentes
dans les produits achetés permettant de suivre les comportements des
consommateurs, GPS des automobiles permettant de pister les trajets
d'un conducteur, etc. Certes, il existera de plus en plus des moyens de
se protéger en cryptage de ses conversations téléphoniques ou de ses
emails, destructeurs de cookies pour couper les ponts pour ceux qui
vous suivent sur votre parcours du Web, etc. Mais de plus en plus, la
notion de vie privée, plutôt que d'être un droit, deviendra dans
certains cas un compromis négociable. Par exemple, si l'on va sur
amazon.com acheter un livre, on est souvent accueillli par une phrase
de ce type : monsieur ou madame X, les personnes qui ont acheté le
livre que vous venez d'acheter ont également acheté les livres suivants
... Cela peut paraître une invasion de la vie privée, mais cela peut
être très utile à un étudiant, un professeur ou un journaliste.
Quoi qu'il en soit, il est absolument indispensable, sur un plan
info-éthique, de contribuer à pousser les législateurs à mettre des
barrières à l'invasion de la vie privée, un peu dans la même ligne que
ce que la bioéthique a permis de faire pour éviter des débordements
scientifiques et techniques liés au vivant. Après tout, la France a été
un des pionniers dans le monde dans le secteur de la bioéthique et de
la protection des informations personnelles, avec la CNIL. Cela me
paraît important que notre pays soit à la pointe de la réflexion sur
les risques d'atteinte à la vie privée et qu'il soit à même d'écouter
les réactions vigilantes des consommateurs ou des pronétaires pour en
tenir compte dans la promulgation de réglementations, voire de lois les
protégeant.
Oiseau : Cette rareté dont vous parlez n'est-elle pas la base du crédit que les gens portent sur les mass média ? Disparue la rareté, disparu le crédit ?
IA : Ne
pensez-vous pas que tout phénomène de masse (ici d'échange) occasionne
automatiquement un nivellement par le bas sur la qualité de ce qui est
échangé ?
Joël de Rosnay : Selon la formule célèbre,
tout ce qui est rare est cher. Le pétrole se raréfie, son prix
augmente. Le diamant et le caviar sont rares, donc chers. Il n'en est
pas de même de l'information. Un logiciel, une information largement
partagée, sont générateurs de valeur ajoutée. La preuve, les prix
auxquels se négocient les bases d'utilisateurs pour les grands systèmes
de distribution et de diffusion de produits numériques. C'est ce qu'ont
compris au départ des entreprises comme Netscape, qui a mis
gratuitement à la disposition des internautes son logiciel de
navigation pour engranger indirectement, par la suite, des rentrées
financières par les grands portails, ou même par le marché boursier.
C'est parce que ces navigateurs étaient partagés par un très grand
nombre, et donc qu'ils n'étaient plus rares, qu'ils avaient de la
valeur. Il en est de même aujourd'hui pour Skype, téléphone mondial
gratuit, qui s'est fait racheter récemment 2,6 milliards de dollars par
Ebay, justement parce qu'il était téléchargé par 53 millions
d'utilisateurs gratuitement, mais qu'il générait de fabuleuses
opportunités de services nouveaux payés à petits prix mais intéressant
des dizaines de millions d'utilisateurs.
Cependant, la
question est pertinente, parce que face à l'info-pollution, il nous
faut distiller l'information de manière à obtenir en haut de la colonne
une information rare, pertinente et utile. D'où l'importance des
journalistes, médiateurs entre les événements du monde et les
utilisateurs qui savent sélectionner, filtrer, commenter, organiser
l'information. Il ne faut pas oublier non plus que la rareté d'une
information peut valoir beaucoup d'argent. C'est ce que l'on appelle
généralement une information d'initié. Bien connue dans les milieux
boursiers et sévèrement réprimée, justement pour cette raison.
Quant à la qualité, c'est effectivement un des grands problèmes de la
montée des médias des masses, blogs, vlogs ou journaux citoyens. La
seule réponse permettant d'ouvrir des voies vers la préservation de la
qualité me paraît être le filtrage collaboratif réalisé par les
éditeurs bénévoles ou les lecteurs eux-mêmes, comme cela se produit
pour les encyclopédies collaboratives gratuites en ligne du type
Wikipédia. Le secret est de faire "émerger la qualité" par un processus
de vérification à chaque niveau. Un peu comme dans l'industrie
automobile, où, sur la chaîne de montage, la voiture totalement
assemblée n'est pas testée à la fin pour sa qualité, mais à chaque vis
ou à chaque poignée introduite au cours de l'assemblage. Il en résulte
que la qualité émerge progressivement de la complexité. C'est le but à
atteindre pour assurer par les médias des masses des informations
pertinentes et de qualité.
Marabbeh : Quelle est votre opinion sur les brevets logiciels ?
Joël de Rosnay :
Les brevets logiciels relèvent évidemment de la production propriétaire
des grands détenteurs de contenus et des grandes entreprises
d'informatique, qui se comptent sur les doigts d'une main. Ils ont
beaucoup critiqué l'avènement des logiciels collaboratifs de type
Linux. Progressivement, ces logiciels dits "ouverts" se sont imposés,
non seulement par leur utilité ou leur gratuité, ou leur prix très bas,
mais parce que les utilisateurs pouvaient les modifier et les améliorer
de manière, justement, collaborative. C'est ce modèle que je décris en
détail dans "la Révolte du pronétariat" et qui, comme je tente de le
montrer, s'applique à la création de beaucoup de contenus textuels,
musicaux ou audiovisuels, à caractère professionnel, de loisir ou
éducatif, qui commence aujourd'hui à émerger sous l'effet de la
production décentralisée des pronétaires. Voilà un des phénomènes
auxquels nous assistons et qui met en cause le principe de la
brevetabilité des logiciels qui s'appuie sur un certain nombre de
modèles réglementaires datant déjà de quelques dizaines d'années.
Il ne faut pas oublier non plus que les grands détenteurs des
programmes les plus utilisés sur les ordinateurs mondiaux assurant
leurs bénéfices grâce à des droits de licence et à des mises à jour,
combattent farouchement tout ce qui peut ressembler, de près ou de
loin, à des logiciels libres et collaboratifs. On voit ici à l'oeuvre
le principe de création de la rareté (et même de la mise en oeuvre de
sanctions pour ceux qui prônent l'abondance) pour forcer les
utilisateurs à passer par leurs vecteurs, rares mais chers, de
distribution et de diffusion. C'est pourquoi je les appelle aussi des
"vectorialistes" et pas seulement des "info-capitalistes".
Nico_1 : Il y a dix ans, l'Internet était un espace décentralisé,
coopératif, libertaire, essentiellement universitaire. Depuis, il y a
eu une montée en puissance de l'Internet marchand, des grandes
multinationales technologiques. Quel équilibre dans dix ans, selon vous
?
Joël de Rosnay : L'Internet n'est pas un réseau
libertaire comme on l'a cru. C'est une jungle, le reflet virtuel de la
société réelle. On y trouve sur les autoroutes de l'information des
bandits de grand chemin, des pirates, des "crackers". Dans cette jungle
sévit la censure, la désinformation. Des pays entiers bloquent des
emails qui contiendraient des mots-clés interdits pour des raisons
politiques ou religieuses. D'autres pays espionnent en permanence les
échanges d'emails, de téléphone portable, suivent les séries de
connexions de certaines personnes sur le Web. Et j'ai parlé de la
traçabilité résultant du mariage du téléphone portable, de la
monétique, de l'Internet et des satellites. Et ça ne changera pas. Mais
en même temps, grâce aux médias des masses, à la révolte du pronétariat
contre les détenteurs exclusifs des droits et des contenus, utilisables
notamment pour la coéducation de masse, mais restreints pour ceux qui
aujourd'hui dans le monde en auraient le plus besoin, on voit
progressivement émerger une réaction profonde et intelligente à ce
petit nombre de puissants qui régissent les échanges informationnels
dans la société du numérique en train de se construire.
Quand
on me demande si je suis optimiste ou pessimiste pour l'avenir de
l'Internet et des médias des masses face aux mass media, si je crois à
la responsabilité citoyenne et à la co-régulation dans le cadre d'une
nouvelle démocratie participative, je réponds inlassablement : "ma
position est à 50/50. Je suis 50 % optimiste et 50 % pessimiste", ce
qui ne répond évidemment à rien. Mais par cette pirouette, je veux
démontrer que cet avenir est entre nos mains. C'est la responsabilité
humaine qui nous permettra de construire le futur plutôt que de le
subir. C'est à nous, internautes, usagers ou pronétaires, de faire
évoluer ces 50/50 vers un 70/30 positif pour l'homme, les libertés
humaines et l'égalité des chances. Je ne suis pas certain que nous y
arriverons, mais ma modeste contribution dans le cadre de ce livre, "la
Révolte du pronétariat", est d'indiquer quelques pistes que nous
pourrions suivre pour entrer de manière solidaire et collaborative dans
une société relationnelle plus responsabilisante dans laquelle nous
aurons peut-être besoin de moins d'informations, mais de plus de
sagesse.
Chat modéré par Lisa Aliane, Constance Baudry et Eric Nunes
janvier 27, 2006 dans Revue de presse | Permalink
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Notifié le 27 jan 2006 22:59:44 |